Prises de paroles

 

Dimanche 22 avril


"Le premier des vivants"

Lectures
• Livre des Actes des Apôtres (Ac 3, 13-15.17-19)
• 1ère lettre de saint Jean (1 Jn 2, 1-5)
• Evangile de Jésus Christ selon saint Luc (24, 35-48)


Accueil
Bonjour à tous et à chacun. Bienvenue aux habitués, bienvenue aux intermittents, bienvenue à tous ceux qui sont de passage et bienvenue à ceux qui viennent pour la 1ère fois !
Cette célébration est inhabituelle dans la mesure où elle n’est pas présidée par un prêtre de la communauté mais par un prêtre que nous avons invité, Dominique Fontaine, qui est vicaire général de la Mission de France. Nous l’avons invité pour mieux manifester le partenariat que nous essayons de bâtir entre notre communauté et la Mission de France. Ce partenariat se manifeste par essentiellement 2 choses : d’abord les messes du dimanche soir que nous avons bien du mal à faire décoller et qui sont destinées aux étudiants et jeunes professionnels qui sont pétris de valeurs, ont un pied dans l’Eglise et l’autre en dehors mais qui ne sont pas à l’aise avec les liturgies disons classiques ! L’autre partenariat qui s’étend aux Amis de la Vie concerne les conférences débats que nous organisons régulièrement, la dernière a eu lieu le 10 avril avec l’UMP Etienne Pinte et le socialiste Dominique Gros sur le thème « élus par les citoyens, engagés par l’Evangile ». La prochaine devrait avoir lieu le 19 juin avec Olivier Le Gendre auteur des « confessions d’un cardinal » et avec Patrick Benquet qui a réalisé le film projeté récemment sur FR3 : « la bataille de Vatican II est elle perdue ? » Donc un autre débat passionnant en perspective ! C’est donc un partenariat qui marche bien, merci à la Mission de France pour le travail effectué ensemble et merci à Dominique de célébrer avec nous aujourd’hui !
Ce dimanche est aussi un jour particulier avec les élections présidentielles. Nous l’évoquerons bien sur au cours de notre célébration. Mais alors que nous nous situons là dans l’horizontalité, entre la droite ou l’extrême droite et la gauche ou l’extrême gauche, les textes du jour autour desquels nous avons partagé lors de la réunion de préparation de lundi soir et qui seront lus au cours de la célébration nous invitent à réfléchir à la dimension verticale de notre vie. Il y est beaucoup question du péché qui nous tire vers le bas, est ce pour cela que l’on situe l’enfer en bas, et du pardon de Dieu qui nous remet debout et nous tire vers le haut, est ce pour cela que l’on situe le paradis au ciel ? Il nous est aussi apparu que la foi est bourrée d’antinomies : ce péché qui ouvre au pardon, ce Dieu, dont les juifs attendaient qu’Il se manifeste dans sa gloire et qui, en fait se comporte en serviteur qui lave les pieds de ses disciples, ce Dieu que l’on dit tout puissant mais qui est toute faiblesse et qui meurt abandonné sur une croix, et puis l’antinomie suprême qu’est cette mort qui conduit à la vie… !
Avant d’entrer dans la célébration, je voudrais rappeler que nous sommes rassemblés ici au nom du Père, du Fils et du saint Esprit. Et avant de répéter les chants, je voudrais vous livrer ces quelques mots de Zundel : « Dieu peut être vaincu, il l’est sur la croix où il meurt d’amour pour ceux qui refusent éternellement de l’aimer… Dieu est fragile et c’est pourquoi finalement, ce n’est pas nous qu’il faut sauver, c’est Dieu qu’il faut sauver en nous. » Que cette célébration soit l’occasion de nous mettre en route avec le « Premier des Vivants ! »

Michel Bouvard

après l'évangile
« La paix soit avec vous. » Le ressuscité est au milieu des disciples. Il est « au milieu » de nous ce matin en cette eucharistie. Il est autant présent que ce jour-là il y a 2000 ans. Mais de quelle présence s’agit-il ? Il se présente avec ses mains et ses pieds percés. Lundi soir, quand nous avons médité sur les textes de ce dimanche, cela nous a rendu attentifs : ils nous disent qu’on ne peut découvrir ce que signifie la résurrection que si on relit (relie) tout ce que nous disent la Loi, les prophètes et les psaumes, c’est-à-dire toute la Bible. Il faut que notre esprit soit ouvert à l’intelligence des Ecritures et que nous découvrions comment Jésus accomplit les figures évoquées par les prophètes. C’est ce que nous avons découvert peu à peu lundi soir dans les lectures du jour ; comme je suis invité dans votre célébration aujourd’hui, les uns et les autres m’ont demandé de faire le commentaire.

Dans la première lecture (Actes 3), après la guérison du paralysé de la Belle Porte, Pierre s’adresse à la foule qui est rassemblée : « Le Dieu de vos pères a glorifié son Serviteur. » La figure du Serviteur, où la trouvons-nous ? Dans Isaïe, à travers les fameux chants du Serviteur de Dieu, en particulier le 4ème chant en Is 52,13 - 53,12.
Avant d’aller regarder plus loin, une parenthèse : comment pouvons-nous comprendre ce que dit l’Eglise à la suite de la 2ème lecture d’aujourd’hui dans la première lettre de Jean : Il est la victime offerte pour nos péchés et il a sauvé par sa mort toute l’humanité de tous les temps et de tous les pays ? Prenons conscience de l’énormité de ce que nous chrétiens, nous disons : un homme a vécu un sacrifice une fois pour toutes ; par un événement arrivé dans un endroit obscur de l’empire romain et passé pratiquement inaperçu à l’époque, c’est toute l’humanité de tous les temps qui est sauvée, les péchés sont pardonnés, tout est accompli et il n’y a pas besoin d’attendre un autre sauveur pour l’humanité ! Et tout cela par la mort d’un homme condamné sur une croix, parmi des milliers d’autres crucifiés dans l’histoire. Nous sommes vraiment gonflés de dire cela pour toute l’humanité de tous les temps et de tous les pays ! Comment justifier une affirmation si énorme ? Comment la faire comprendre à des non-chrétiens … et peut être aussi à nous-mêmes ?

Il me semble que la réponse est dans cette figure du Serviteur, qui est sous-jacente aux lectures d’aujourd’hui. Nous entendons ce chant du Serviteur le vendredi saint avant la passion et nous sentons que ce texte est en filigrane des récits de la passion dans les quatre évangiles ; cela nous saute aux yeux : nous découvrons que les premiers chrétiens ont « vu », au sens fort du terme, que Jésus dans sa passion et sa façon de mourir accomplissait cette figure ouverte par les Ecritures juives : celle de ce mystérieux Serviteur souffrant. Luc le dit de façon très nette en mettant sur la bouche de Jésus à la fin du dernier repas : « Je vous le dis, il faut que s’accomplisse en moi cette parole de l’Ecriture : ‘il a été compté parmi les criminels’ (Es 53,12). Car ce qui me concerne va s’accomplir » (Lc 22,37). Jésus déclare solennellement que cette figure du Serviteur va s’accomplir en lui. Il donne à l’avance la clé de lecture de ce qui va se réaliser par le Père à travers sa mort.
Et de fait, c’est ce qui nous est donné à voir, ce qui nous est révélé. Jésus vient de donner sa vie par le geste du pain et de la coupe et il va entrer à Gethsémani dans le travail mystérieux du Père qui se profile dans les chants du Serviteur. Et Jésus va endosser en tout point cette figure du Serviteur dont parle Esaïe.

Si nous lisons le quatrième chant (Es 52,13 - 53, 12), voici ce que nous découvrons : Au départ c’est Dieu qui parle : « Voici que mon Serviteur réussira, il se lèvera, il montera, il sera exalté ». Ce sont les mots bibliques pour parler de résurrection ! Dieu annonce la résurrection de son Serviteur.
La deuxième phrase est en profond contraste avec la première : elle nous dit que cette exaltation est l’autre face de ce qui est arrivé au Serviteur : « Alors que des multitudes avaient été épouvantées à sa vue, tant son aspect était défiguré - il n’avait plus d’apparence humaine ni l’aspect des fils d’Adam ». Cela concerne bien « la multitude », et ce qui arrivé au Serviteur est bien une révélation : « Ainsi des multitudes de nations s’émerveilleront (s’étonneront), devant lui des rois resteront bouche bée. Ce qui ne leur avait pas été raconté, ils le verront. Ce qu’ils n’avaient pas entendu, ils le comprendront. » La voix de Dieu donne le sens dès le départ, il s’agit d’une révélation, qui concerne le sens total de l’histoire de l’humanité. Il va y avoir quelque chose à voir et à entendre, une révélation sans paroles. Il va suffire de regarder.
Ensuite une voix raconte, un peu comme le chœur dans une tragédie grecque. Dieu se tait et laisse se dérouler le spectacle : « Qui a cru ce que nous avons entendu ? Et à qui le bras de Dieu a-t-il été révélé ? » Et en écoutant le récit, nous aussi nous « voyons » Jésus en sa passion : « Il était rejeté et méprisé par les hommes ; maltraité, il s’humiliait ». Nous voyons le Christ aux outrages, nous entendons les insultes au moment de la crucifixion. « Par coercition, il a été arrêté ». Nous voyons l’épisode de l’arrestation nocturne. « Il a son tombeau avec les riches ». Nous voyons le tombeau neuf donné par Joseph d’Arimathie, et Matthieu précise qu’il était riche (Mt 27,57). «Il n’ouvrait pas la bouche, comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs ». Nous voyons Jésus silencieux devant les accusations et les outrages, à l’heure où les agneaux étaient sacrifiés dans le Temple pour la fête de la Pâque…
Et voilà que ceux qui assistent au spectacle (comme nous-mêmes qui écoutons la Passion et peut être tout homme qui est mis un jour en présence de ces récits des évangiles) se mettent à parler et à découvrir le sens de tout cela : « Et pourtant c’était nos souffrances qu’il supportait et nos douleurs dont il était accablé. » Mais cette prise de conscience que les souffrances et la mort du Serviteur nous concernent va de pair avec une autre prise de conscience : « Et nous autres, nous l’estimions châtié, frappé par Dieu et humilié ». De fait, c’est bien ce que pensaient les gens à propos de Jésus : Il a été condamné par Dieu comme blasphémateur. C’est ce que dit le grand prêtre : « Vous avez entendu le blasphème !» (Mc 14,64). Les gens croyaient vraiment à ce qu’ils disaient quand ils interpellaient Jésus crucifié et mettaient Dieu de leur côté.
La troisième étape de la prise de conscience est la reconnaissance du péché : « Il a été transpercé à cause de nos péchés, écrasé à cause de nos crimes. » On voit bien que c’est toute l’humanité qui parle à travers ce « nous ».
Mais curieusement, cette reconnaissance de culpabilité n’écrase pas ceux qui assistent au spectacle : « Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris ». Ce qui est révélé alors, c’est le pardon. La culpabilité découverte va de pair avec la révélation du pardon. Puis le texte insiste : « Pour nos péchés il a été frappé à mort ». Paul dira : « Je vous ai transmis ce que j’ai reçu : Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures. » (1Co 15, 1-5).
Enfin arrive la proclamation de la justification du Serviteur et son exaltation, comme la voix de Dieu l’avait annoncé au début : « Il verra une postérité (une semence) et la volonté de Dieu s’accomplira par lui. Par ses souffrances il justifiera des multitudes ». Nous découvrons le sens de ce que Jésus disait à Gethsémani : « Père, que ta volonté soit faite » (Lc 22, 42). Nous comprenons aussi Paul quand il dit de Jésus qu’il est devenu l’aîné d’une multitude de frères.

Ainsi les Chants du Serviteur aboutissent à une révélation, qui est exactement celle de la passion de Jésus. Le voile du Temple se déchire, le centurion, représentant de la multitude des nations païennes s’émerveille : « Vraiment cet homme était un Juste» (Lc 23,47). Ce qui est révélé à toute l’humanité, c’est que celui qu’on appelle Dieu et qu’on se représentait en train de condamner ce blasphémateur n’était pas le vrai Dieu. Tous les hommes peuvent alors découvrir le vrai Dieu, lui qui fait supporter à son Serviteur Jésus le péché et la violence de tous, non pas pour le condamner lui Jésus, mais pour à travers lui « sauver tous les hommes » en leur révélant le pardon accordé par avance à toute l’humanité. Tel est l’accomplissement de la nouvelle alliance annoncée par Jérémie.
Nous tous, nous pouvons nous découvrir tels que nous sommes : pécheurs, mais guéris et sauvés. Pourquoi ? Parce que notre péché et notre violence ont été supportés par un seul, le Juste, qui a ainsi « justifié les multitudes ».
Nous prenons conscience que ce Dieu que nous découvrons a accepté en Jésus (« l’Agneau de Dieu ») d’être chargé de nos péchés : Il n’a pas réagi quand nous avons rejeté notre faute sur Jésus en demandant de le faire mourir. Il n’a pas retourné l’accusation contre nous. C’est le sens du silence du samedi saint, qui signifie que personne ne nous a condamnés, comme le dit Jésus à la femme adultère (Jn 8,10). Ce silence nous permet d’entendre notre propre voix et d’y reconnaitre notre propre méchanceté vis-à-vis de nos frères humains, sans pour autant en mourir. Nous découvrons alors avec émerveillement l’action du Père qui, par son Serviteur, oeuvrait en silence pour notre guérison. Nous découvrons le travail mystérieux du Père dont parlait Jésus. Et nous pouvons entrer dans ce pardon qui est révélé à tous et pas seulement aux chrétiens.

Ce qui éclate dans les chants du Serviteur comme dans la passion de Jésus, c’est que la prise de conscience du péché n’est pas une condamnation, qu’elle n’écrase pas ceux qui découvrent leur violence. Toute l’humanité, qui est convoquée dans ce chant du Serviteur, peut découvrir le spectacle de sa violence et ses conséquences sans s’autodétruire dans la culpabilité. L’humanité qui se déchire depuis les origines peut prendre conscience du péché de sa violence sans en être écrasée. Ainsi, cet événement de l’histoire qu’a été la mort de Jésus de Nazareth relue à la lumière des Chants du serviteur est la révélation que la tradition chrétienne offre à toute l’humanité : le pardon est premier, originel. Nous pouvons tous, qui que nous soyons, chrétiens, membres d’autres religions ou athées, reconnaitre la violence qui est en nous sans y être enfer-més, sans être condamnés à « l’enfer », sans nous autodétruire. Cette révélation peut permettre à l’humanité d’être sauvée de sa violence. Il n’y a pas besoin d’attendre une autre révélation. Elle s’adresse à l’humanité de tous les temps et pas seulement aux chrétiens. C’est le message que porte la tradition chrétienne au monde. C’est ce que crie l’apôtre Paul dans chacune de ses lettres. Voilà ce que nous pouvons dire à ceux qui nous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en nous.
Notre message, c’est que nous pouvons tous entrer dans la « descendance » du Serviteur, dans sa « semence ». Il est le grain de blé tombé en terre qui a du mourir pour devenir semence d’une multitude de fils dont il va faire une multitude de frères. Il est « le premier des vivants », comme nous l’avons écrit ce dimanche dans cette église. C’est bien ce que nous anticipons dans la grande prière eucharistique de la messe.

A la résurrection, Jésus dira aux femmes : « Allez dire à mes frères …» (Mt 28,10). En appelant ainsi Pierre et les disciples qui l’avaient renié et abandonné, Jésus révèle que le pardon leur est donné, que la filiation divine leur est restituée, qu’ils peuvent devenir fils dans le Fils, à l’instar de ces petits qui sont ses frères (Mt 25,40), qu’ils sont appelés à devenir un corps de frères, le Corps du Christ. La violence, la jalousie, les rivalités qui se sont révélés jusque dans le dernier repas peuvent être convertis. Il en est de même pour nous. Dans l’eucharistie, le don que Jésus nous fait de sa Vie ne nous met pas dans une communion spontanée et idéalisée (on est bien ensemble), ce don doit traverser la violence de nos rapports humains marqués par les rivalités.

Ainsi, le geste posé par Jésus au dernier repas et repris à chaque eucharistie porte en lui une autre façon de vivre les relations humaines. Mais l’eucharistie ne nous la propose pas à la manière d’un précepte moral, en nous disant : « il faut vivre des relations pacifiées ». En fait, c’est une révélation à recevoir. Cette révélation, c’est la diaconie du Christ, dont nous pouvons comprendre maintenant la profondeur. C’est en acceptant la vie du Christ donnée dans l’eucharistie que nous allons peu à peu nous laisser transformer, au plan personnel comme au plan de nos communautés. Tel est le sens de la diaconie du Christ, de la vie du Serviteur de Dieu, dans lesquelles nous entrons par le baptême et que nous recevons comme une révélation toujours nouvelle dans l’eucharistie.

Dominique Fontaine (Misson de France)