|
Samedi 25 Décembre
Noël
Les anges… on ne les distingue pas toujours…
Parfois, c’est lorsqu’ils ont disparu, qu’on
sait que ce sont eux…
Même Abraham ne les a pas reconnus devant sa tente,
Sous le chêne de Mambré, il les a pris pour des voyageurs
!
Les anges laissent des paroles qui sont des semences.
Il y aura bientôt neuf mois, la voix d’un messager était
arrivée
En même temps qu’un souffle d’air.
Le messager m’avait saluée : Salut Myriam !
Il m’avait annoncé un fils, destiné à de grandes
choses.
Alors dans mon corps, dans mon sein s’est créé un
espace,
Une petite amphore d’argile s’est posée au creux de
mon ventre.
Et le temps a passé.
A la fin de la récolte des olives, j’entrais dans la dernière
lune d’attente ;
C’est à ce moment là que Youssef m’a dit, qu’il
était arrivé un ordre de recensement obligatoire et que
nous devions partir… à Bethléhem.
Pourtant, Youssef avait essayé de demander un report pour nous
: J’allais accoucher,… mais l’autorité avait
renvoyé la requête.
Nous devions partir, et …vite… Et Bethléhem était
loin…
Mais, recensement ou pas, nous serions partis quand même,
La dernière semaine devait être celle de nomades, sans domicile
fixe.
J’avais toujours pensé que la naissance aurait lieu…
en voyage.
Youssef a sellé l’ânesse avec un tissu bien doux,
il m’a fait monter.
Il a chargé sur son dos le poids le plus lourd
Pour ne pas fatiguer l’ânesse,
Et il avait taillé un grand bâton dans une branche d’oliviers,
pour assurer son pas.
Les routes étaient pleines de voyageurs.
Des voyageurs obligés de se déplacer, car il fallait s’inscrire
sur le lieu de sa naissance.
Le pays était en plein mouvement ; sur les chemins, les chariots
encombrants étaient nombreux, les gens en profitaient pour faire
du commerce. Un temps aussi pour se parler et échanger les nouvelles.
Pendant cette longue marche, je parlais à l’enfant : Moi,
je suis Myriam,
Et toi, mon petit, et toi, qui es tu ?
Je respirais profondément pour faire connaître à l’enfant
les surprises du monde.
On voyait rarement des soldats romains, mais lorsqu’on les rencontrait,
Il fallait leur laisser la place ;
On se croisait dans un grand silence, sans un salut…
Il est long le chemin qui va de Nazareth à Bethléhem !
Du haut du mont Carmel, Youssef m’a montré la mer,
J’ai inspiré l’odeur du sel sur ma langue,
C’était déjà un plat de résistance !
Dans ma bouche, je l’ai assaisonné avec une datte,
Et mon enfant qui s’était endormi, s’est alors réveillé
:
Tu aimes la mer, toi aussi, mon petit ?
Ou bien… la datte que je t’ai envoyée ?
En approchant de Bethléhem, j’étais arrivée
à mon jour…
Impossible, de trouver une place dans la ville, archicomble.
Youssef a eu beau chercher, rien, il n’avait rien trouvé.
Finalement, c’est une étable minuscule occupée par
un boeuf qui nous a fait le meilleur accueil…
Dans le ciel, brille la lumière tranchante d’une comète.
C’est le moment pour sortir, mon petit agneau…
Et aussitôt le bœuf a mugi doucement,
l’ânesse a secoué fort ses oreilles.
La première bienvenue au monde de mon fils, Yeshu,
Fut un applaudissement de bêtes !
Je n’ai pas appelé tout de suite Youssef,
Je lui avais promis un fils à l’aube, il faisait encore nuit.
Jusqu’à la première lueur, Yeshu n’est qu’à
moi…
Il n’est qu’à moi…
Cette nuit, ici, à Bethléhem, la maison du pain, il n’est
qu’à moi…
Dehors, il y a le monde, les lois, les armées, les registres sur
lesquels inscrire ton nom,
Et tous les êtres humains dans les campements voisins.
Ici, il n’y a que nous.
A l’aube, ils entreront et tu ne seras plus à moi.
Mais tant que dure la nuit, nous sommes seuls au monde,
Tant que dure la nuit, c’est ainsi…
Et voilà que le jour se lève,
Les bergers comptent leurs brebis
Avant de les disperser dans les pâturages…
Youssef est devant la porte.
Yeshu, mon enfant, je te présente le monde.
(Récit adapté d’Erri De Luca )
Jacqueline Casaubon - Noël 2010
Dieu s’incarne en un enfant fragile. Il n’y
a rien d’autre à voir mais tout est possible.
Tout enfant est promesse et source d’espérance.
D’autres naissances donnent à l’invisible de s’incarner,
à l’espérance de prendre racine en notre monde, si
dur pour tant d’hommes, de femmes et d’enfants.
A un moment de leur vie, des hommes, des femmes, parfois seuls au début,
ont fait naître un nouveau mode de solidarité humaine et
ce qui a grandi dépasse tout ce qu’ils pouvaient imaginer.
La lettre adressée par Jean Vanier à ses amis de l’Arche
en novembre dernier dit sa joie, son action de grâce pour l’évolution
de l’association, née il y a 46 ans, et aussi combien il
vit désormais ce qu’il a si longtemps prêché.
« Je viens d’avoir 82 ans. Et j’ose dire que je me
sens profondément heureux avec ma vie. Il fallait, je crois, que
je cesse de prêcher la vie communautaire pour la vivre tout simplement
dans ma communauté. Ne plus parler de la force et de la faiblesse
qui habitent chaque personne mais les vivre dans mon propre corps quand
mes jambes sont fatiguées et la tête embrouillée.
»
Il évoque les atrocités en Irak, la situation en Israël,
en Palestine, à Haïti et nos interrogations sur ce que nous
pouvons faire, en ajoutant :
« Je réalise pour ma part que mon rôle est de vivre
le plus humainement, le plus amoureusement possible.»
….
« Le mot qui vient et revient à mon esprit et mon cœur
est présence. Etre présent à la réalité
et aux autres, ne pas fuir dans l’imaginaire et dans les idées.
»
Et il nous lance cet appel en guise de conclusion :
« Nous sommes appelés à créer des petits lieux
de paix, de douceur où Dieu demeure. »
Eliane Brouard
Toute naissance est un passage, une sortie et donc un formidable
déplacement,
Un mouvement souvent incertain mais mu par une espérance.
Car l’espérance, ici celle de Dieu parmi nous à Noël,
nait toujours d’une épreuve, parfois d’un échec
ou d’une incompréhension
Ainsi la Nativité se présente à la fois comme une
migration et une épreuve,
Mais elle est aussi une solitude et un silence qui ne s’enferment
pas sur eux-mêmes puisqu’ils engendrent justement une espérance.
Noël, c’est un ciel vide et sombre qui s’emplit doucement,
lentement de lumières éparses avant de former demain comme
une voie lactée, une voie de lait et de miel
Ce ciel que nous avons fermé, figé, s’ouvre, s’anime,
se déplace parce qu’il est toujours habité de femmes
et d’hommes de bonne volonté, de celles et ceux qui ont accepté
de faire du chemin justement pour tracer le chemin et ainsi d’avancer,
soutenus par l’exigeante légèreté de l’espérance.
Et le ciel ce soir s’est déplacé dans une étable
; « cette étable où Dieu nait, c’est nous »
(C.G. Jung)
La crèche pourtant n’est qu’un début, un lieu
essentiel mais provisoire : les bergers courent vers la mangeoire et ne
s’attardent pas ; les mages qui repartiront par un autre chemin
; Marie, Joseph et l’enfant vont la fuir …
Venez et voyez ; venez afin de reprendre la route
Ce soir, ne convient-il pas de porter notre espérance devant la
crèche en demandant au Seigneur de nous aider à en sortir,
à partir ailleurs, non pour partir ailleurs mais pour nourrir nos
rencontres, nos écoutes, nos attentes, pour être des témoins
et accepter de recevoir encore.
Alain Cabantous
|