Prises de paroles

 

Dimanche 23 août 2009

Lecture Jn 6/60-69

Et vous, voulez-vous partir vous aussi ?
Sans doute pas puisque nous sommes ici ce matin… Il appartient à chacun de nous de répondre à cette question pour lui-même, sans juger l’autre sur sa réponse. Certains ont entendu ces paroles de la vie éternelle, d’autre non, ils les attendent encore ou ils ne les attendent même plus. Pour eux c’est le silence de Dieu. Dans ce texte il faut aussi être attentif à ceux qui s’en vont, Jésus affronte cette incompréhension (que l’évangéliste lui, présente comme une trahison, thème récurrent qu’il poursuit jusqu’à la Passion).

Cette incompréhension nous la connaissons. Ceux qui entendent ces Paroles de vie les entendent en étant au sein d’une humanité livrée au silence de Dieu, une humanité qui n’explore que le silence, l’abandon, le non-sens. Des hommes qui nous ressemblent et à qui nous ressemblons parce que nous sommes les mêmes dans ce monde. Et c’est parce que nous sommes les mêmes dans ce monde que ces paroles nous sont adressées à nous, à nous aussi et à nous d’abord.

Pour les croyants il est une voie à explorer, celle d'un monde où Dieu ne parle pas, celle d'une histoire des hommes où Dieu n'intervient pas. Pour celui qui cherche ainsi à explorer le mystère de Dieu, Dieu n'est pas forcément absent, sa révélation n'est pas impossible, mais elle s'accomplit autrement : c'est l'émergence du mystère de Dieu dans l'histoire de l'humanité. On peut lire les Écritures, la Parole de Dieu, avec cet objectif, non pas comme le témoin du dessein dogmatique de Dieu, ou de l'intervention autoritaire de Dieu, mais pour y découvrir la trace de la transformation des hommes qui explorent son mystère et qui perçoivent ainsi la révélation. Que les Écritures soient le témoin de cette histoire implique qu'elles soient aussi le témoin de la paix et de la guerre, de la miséricorde et de la violence, de toutes les contradictions entre l'amour et la haine et de la recherche de la lumière entre les erreurs et les vérités.

En méditant cette question j’ai été voir cette semaine le film  de Quentin Tarantino : « Inglorious Basterds » (inspiré du film des années soixante « les douze salopards —1967 » de Robert Aldrich). Comme pour faire la guerre on se salit les mains, autant choisir pour les tâches les plus odieuses, des hommes qui ont déjà les mains sales, très sales, 12 criminels endurcis qui n’ont plus rien à perdre. 12 comme les apôtres ! Et « salopards », comme les pécheurs (l’Église masque souvent notre humanité sous un vocabulaire religieux : dire contrition au lieu de culpabilité, dire pénitence au lieu de punition). Pour leur dire les paroles de la vie éternelle Jésus a choisi 12 « salopards », 12 pécheurs… 12 hommes et femmes comme nous, non pas choisis pour leur perfection, pour leur sainteté, mais pour leur faiblesse, leur lucidité quant à leurs fautes ! Dans le film les bons comme les méchants sont tous les mêmes, ce tous des monstres pervers et sadiques qui se conduisent exactement de la même manière pour massacrer les autres. Ça s’appelle la guerre. Simplement les bons sont du bon côté, les méchants du mauvais qui décide du bon ou du mauvais côté : l’histoire. Les Nazis étaient du mauvais côté, les résistants du bons. Bon ou du mauvais côté, c’est-à-dire le sens que prend pour les hommes leur vie au regard des valeurs que l’humanité essaie de rejoindre.

La confrontation de la foi place le croyant en tension entre l’éficacité de son action et le sens de sa vie. Entre le
Dieu de l'histoire, de sa propre vie, et l'accomplissement d’une humanité future, à venir. Tout homme en est l'acteur de cet accomplissement. Ce sont ces pages qu'il nous appartient d'écrire au sein de la communauté humaine, là où nous sommes, avec ce que nous sommes, avec ceux aux côté de qui nous vivons, en tant qu'acteurs de l'histoire, en tant que témoins pour les générations à venir d'une Parole informulée et qui pourtant se dit en moi.

L’Église relaie l’appel du Christ, sa question insistante : « voulez-vous partir vous aussi ? », première mission. Elle accueille ceux qui entendent cette question, ou qui l’attendent, ou n’entendent rien  car pour eux Dieu est silencieux, deuxième mission. L’Église n’a aucune parole définitve.

Jacques Mérienne