Prises de paroles

 

Dimanche 18 janvier

"Parle Seigneur ton serviteur écoute"

Lectures
• Livre de Samuel (1 S 3,3b-10.19)
• 1ère lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens (1 Co 6, 13b-15a.17-20)
• Evangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 1,35-42)

Journée mondiale du Migrant et du Réfugié

Rapprochons deux éléments :
• Cette semaine, quelqu’un m’appelle au téléphone « pour des problèmes de papiers » et je le salue poliment par un « Bonjour monsieur ! ». Aussitôt il me dit avec une certaine véhémence : « Appelez-moi Mikaël, vous me connaissez ! Je vous en prie, appelez-moi Mikaël ! »
• Et puis, dans l’évangile de Jean, Jésus dit : “Tu es Simon, tu t’appelleras Képha (ce qui veut dire Pierre)”.

I Samuel 3, 3b-10.19
Je ne connais pas d'autre situation dans le Ier Testament qui relate une relation entre Dieu et un enfant.
Si la parole de Dieu était rare en ces jours-là, c'est parce qu'il faut des cœurs d'enfant pour l'entendre et c'est justement à un enfant que Dieu va s'adresser. Cela nous rappelle quelque chose : "Si vous ne devenez comme un de ces petits, vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu". Math. XVIII 3
Samuel, l'enfant était couché, c'était la nuit : les activités du jour distraient l'écoute de Dieu.
Cet enfant est donc capable d'entendre, de rester éveillé, de se lever en courant pour rejoindre Eli à qui il avait été confié ; celui-ci était son "référent". L'enfant agit docilement et se recouche par 3 fois.
Eli finit par comprendre et indique la conduite à tenir à cet enfant "qui ne connaît pas encore Dieu".
Il ne s'agit pas d'un rêve mais d'un appel pour servir Dieu : savoir écouter même au lit !

Jean I 35-42
Dans l'Evangile, il s'agit aussi d'entendre la Parole qui conduit à suivre Jésus.
Les mots voir (regard), entendre, suivre, accompagner font partie de l'appel que les disciples reçoivent et que nous pouvons prendre à notre compte. Ces mots sont concrets et font appel à nos sens.
Une question est posée au Maître avant de le suivre : "Où demeures-tu ?". La réponse est bien vague : "Venez et vous verrez". On ne saura jamais ce qu'ils verront, puisque Jésus n'avait "pas de quoi reposer sa tête".
Cela nous fait penser à un autre Evangile de Jean (Jn XX 8) : quand Pierre et Jean arrivent au tombeau : "Jean vit" - quoi ? rien "et il crut".
Il n'est pas obligé de voir pour croire, nous en somme là !
Nous n'avons généralement pas de réponse à nos questionnements. L'important, c'est la confiance que nous avons en Dieu, grâce à notre relation personnelle avec lui et notre vie en Communauté d'Eglise, où nous cherchons ensemble à rejoindre Dieu, là où Il est. Nous y passerons notre vie qui ainsi prend sens.

Catherine Martin Laprade

Le Seigneur appelle - le Seigneur m'appelle - le Seigneur nous appelle.
En reprenant les 2 textes : celui du livre de Samuel et celui de l'Evangile de Jean, nous constatons que pour que l'appel soit entendu, il y a des intermédiaires, des personnes !
Oui appels de nos Frères - appels du Seigneur !
Samuel était proche d'Elie ! Elie le qualifie de "fils"
Nous voyons dans ce récit comment Elie sert, en quelque sorte, à Samuel de "révélateur" et lui permet de se mettre à l'écoute du Seigneur ! Et nous pouvons constater aussi comment Elie, en assumant son rôle de guide et de père: "je ne t'ai pas appelé mon fils, retourne te coucher!", s'efface pour laisser toute la place au Seigneur qui appelle, et toute la place à Samuel qui est alors disponible et prêt à entendre cet appel!
Les appels peuvent être divers et variés ! savons-nous les accueillir ? et ensuite savons-nous nous effacer pour laisser la place à la voix du Seigneur ? et permettre à nos frères de se mettre à son écoute ?

Jean le Baptiste, lui le précurseur, était avec 2 de ses disciples, 2 personnes de sa communauté!
Il pose son regard sur Jésus qui vient : dans ce regard nous pouvons peut-être y découvrir la nouveauté, qui vient dans le monde ! et aussi dans les paroles de Jean le Baptiste, déceler l'achèvement de sa mission : "Voici l'Agneau de Dieu !" Cette appellation fait référence à l'Agneau pascal que nous célébrons depuis la libération du peuple, esclave en Egypte.
Depuis la sortie d'Egypte, le Peuple savait que Dieu poursuivait à tout instant son œuvre de libération ! Et qu'un jour Il enverrait son Messie ! Le nouvel Agneau.
Jean le baptiste proclame et nomme le Christ qui vient : "Voici l'Agneau de Dieu !"
Les disciples quittent leur maître, le Baptiste, pour suivre Jésus !
Jean baptiste a accompli sa mission : il s'efface, un monde nouveau nous est donné !
A chacun et à tous aujourd'hui d'y participer !

Gérard Wybo

 

Appeler, donner un nom, nommer,
c’est faire exister,
c’est donner ou reconnaître une identité,
et entrer en relation.

Les “sans-papiers”, souvent, n’ont pas de nom chez nous,
comme s’ils n’existaient pas, invisibles, inaudibles :
car, n’est-ce pas, ils ne devraient pas exister chez nous...
Parfois, pour travailler, ils prennent le nom d’un autre,
contraints à abandonner leur nom pour survivre :
c’est alors un nom qui enferme…
Ils ne s’y trompent pas et cherchent toujours à reprendre leur nom.

Appeler, nommer,
c’est donner un nom qui fait vivre,
c’est faire exister l’autre,
et reconnaître son histoire.
C’est lui confier une mission.

Quand Jésus appelle Simon et lui donne le nom de Képha,
Il lui donne un nom qui le fait vivre,
un nom qui trace sa route, sa vocation de pasteur.

Ces sans-papiers sans nom et sans histoire,
Ont-ils le droit d’exister quelque part ?
Ont-ils le droit d’être nommés et appelés
pour vivre ?

Nous allons maintenant nous déplacer jusqu’au transept, et dans cette démarche, nous nous arrêterons autour de la barque,
cette barque construite pour la nuit blanche,
aujourd’hui installée dans notre vie de communauté,
la barque qui symbolise pour les migrants
risque de mort et promesse de vie.

Autour de la barque, nous entendrons quelques récits de vie :
- d’abord le texte d’un Français qui se nomme et s’identifie à travers tous les étrangers qui sont en lui et le constituent (voir texte de S. Portelli)

- ensuite, des paroles de quelques jeunes migrants, présents parmi nous aujourd’hui, qui nous disent leur désir de vie,
leur désir d’être nommés et d’exister...

Allons ! Et laissons-nous “appeler” par eux !

Céline Dumont

Des sons étranges,
au milieu de la célébration
autour de la barque,
danger de mort mais promesse de vie


Reprenant une expérience du samedi de la Nuit Blanche, la Communauté a accepté de chanter une oeuvre inédite et unique : "la cantate éclatée". L'idée était de faire le lien avec la barque, oeuvre d'Yves Lefebvre, rappel de tous ces migrants qui prennent le départ au risque de leur vie. Des textes anonymes tirés de paroles de "sans papiers", recueillies par le RCI, ont retenti dans l'Eglise sur un fond musical improvisé a capella, un « cluster », élément du langage de la musique contemporaine, et qui évoque la rumeur du monde vivant. Chacun a sa propre note et cela produit des dissonances qui deviennent une forme d'harmonie : cela doit nous inciter à écouter les sons des autres, et la parole qui parfois en émerge. Quelque chose entre la plainte et le murmure, ou même quelquefois le cri - donnait tout son relief à des mots simples et vrais, aux accents parfois tragiques.
Voici quelques extraits des textes

CANTATE ECLATEE
à partir de textes de travailleurs immigrés
1
« Je suis parti de chez moi parce qu’il y avait la guerre,
avec mon petit frère, j’ai fui les rebelles.
Quand tu travailles tu peux beaucoup de choses. [1]
Ils m’ont attrapé, ils ne m’ont pas tué,
ils m’ont attaché, mais j’ai pu fuir
Je suis revenu chez moi
mais les rebelles m’ont capturé une deuxième fois.
Ils m’ont gardé 6 jours.
Comme ils nous envoyaient chercher de l’eau
et des petits bois pour chauffer de l’eau,
j’ai réussi à m’échapper.
Et puis il y a eu un monsieur qui m’a aidé pour venir en France [2]

REFRAIN
Le bonheur ?
je l’ai pas encore trouvé.
Le bonheur,
ce serait de trouver ma place
bien qu’on ne soit pas accepté,
oui, c’est ça le bonheur,
Le bonheur ?
je l’ai pas encore trouvé.
Le bonheur,
ce serait que je trouve ma voie,
ma voie que je cherche toujours.
oui, c’est ça le bonheur,
Je laisse le Bon Dieu tracer mon chemin.
refrain : Le bonheur

Ce qui me manque de mon pays ? Le partage !
En Afrique, même si on est pauvre,
on est heureux ensemble, on rigole,
c’est ce partage qui me manque.
Que ce soit bon ou mauvais, on partage,
Cest la solidarité, dans la famille, dans le village.
C’est de la solidarité collective qui me manque fondamentalement.
En France, ce que j’aime le plus,
ce sont les gens qui sont bons :
il y a des gens qui consacrent leur vie à une cause,
ça n’a pas de frontière.
refrain : Le bonheur

J’ai quitté mon pays, ce n’était pas facile.
En fait, quitter ton pays, là où tu es né, là où tu as grandi,
et partir ailleurs, c’est pas facile, ça n’a jamais été facile.
La preuve, le jour où j’ai quitté chez moi,
j’ai vu mon père et ma mère pleurer
parce qu’ils voyaient bien que j’allais
là où je ne verrais plus ma famille,
là où je ne connaîtrais personne.
Il voyaient que je me préparais à partir,
sans savoir si je reviendrais,
ou si je les reverrais encore une fois…
C’était pas facile…
refrain : Le bonheur

En France on peut gagner sa vie
et si je trouve les papiers je vais être sûr d’avoir un avenir.
je ne veux pas dire pas que tu vas avoir beaucoup d’argent,
que tu deviens riche !
Mais quand même, tu vas gagner ta vie, un peu…
et l’avenir aussi est presque assuré,
parce que si tu travailles ici,
tous les mois tu gagnes quelque chose,
jusqu’à la retraite, tu gagnes quelque chose
A ce moment là déjà tu as le RMI,
De toutes façons tu gagnes un peu quand même.
refrain : Le bonheur


Et quelque chose encore qui me manque :
pouvoir travailler comme tout le monde,
dignement comme tout le monde
et voilà, j’ai pas eu ça. Je travaille…
même si je travaille, c’est clandestinement,
même si je sors de chez moi, c’est… j’ai un peu peur…
donc ça c’est pas une vie, quoi, ça me fait vraiment mal
Je veux être… libre comme ….
libre de faire…comme…
libre de travailler, d’aller chercher du travail,
de travailler ou de faire autre chose sans me cacher,
voilà, comme tout le monde, quoi !
refrain : Le bonheur


J’ai pris le bateau pour l’Espagne,
et après ici : Espagne et France…
Moi, je préfère la France, c’est mieux,
pas comme l’Italie ou un autre pays…
La France, un pays démocratique, je sais pas comment on dit…
Je voulais gagner de l’argent pour mes parents, je croyais : c’est pas difficile !
Je pensais pas que c’était difficile comme ça,
comme maintenant.
J’imagine quelque chose pas comme « vrai »,
pas comme quand tu vois quelque chose de « vrai ».
refrain : Le bonheur

Dans 2 ou 3 ans ? J’espère ma vie sera changée,
mieux que maintenant, pour… pour…
pour faire beaucoup de choses,
j’espère…j’espère des papiers pour travailler
bien gagner de l’argent pour rester tranquille,
par exemple quand tu travailles… pour le logement aussi
parce que c’est pas bon de dormir chez quelqu’un,
c’est pas bon mais quand tu travailles, tu peux te loger,
par exemple un studio…
Comme ça, ça va, comme ça c’est mieux,
refrain : Le bonheur

Les étrangers qui sont en nous

Serge Portelli, Vice président du TGI de Paris

L’étranger est une chance. Il est le meilleur moyen de nous découvrir à nous-mêmes par ces différences qui sont le ferment nécessaire du progrès et de la paix.

L’hospitalité est l’une des premières manifestations de l’humanité, la base de toutes les civilisations. L’asile est un devoir sacré. La fraternité est inscrite au fronton de tous nos bâtiments publics. Elle est la devise de notre nation.

Le monde ne pourra pas survivre sans une solidarité croissante avec les plus pauvres, infiniment plus forte que les miettes chichement distribuées aujourd’hui.

Mais comme tant d’autres, je n’en peux plus de ce climat permanent d’exclusion, d’enfermement, d’expulsion, de cette xénophobie organisée, administrative,
institutionnelle, qui agresse en permanence la culture de liberté et de fraternité dans laquelle j’ai appris à grandir et qui faisait que j’étais fier de mon pays.

J’en ai assez de ces centres de rétention qui fleurissent partout en France et en Europe. J’en ai assez de cette simili-justice à qui l’on demande de cautionner des reconduites à la frontière ignobles. J’en ai assez de cette complicité des parquets qui autorise des arrestations massives dans les quartiers d’immigration. De ce climat de délation qui s’installe ouvertement en France comme aux pires années. De cette suspicion, de cette surveillance qu’on commence à organiser autour de tous ceux qui honorent notre pays en défendant les sans-papiers. De ce ministère de l’identité nationale qui me fait monter la honte au front chaque matin. De cette politique européenne qui veut faire de l’étranger en situation irrégulière un délinquant qu’on enfermera jusqu’à dix-mois pour avoir osé tenté de survivre. J’en ai assez de cet égoïsme monstrueux qu’on veut faire passer pour une politique raisonnée et raisonnable.

Mais vous ne les connaissez pas, vous ne vivez pas avec eux, vous ne les supportez pas, disent-ils. Si, précisément, je suis envahi par eux, et j’en suis fier. Je les porte en moi. Il y a dans mon sang de l’italien, de l’espagnol, du corse, du maltais, de l’allemand, du suisse, de l’alsacien et bien d’autres sûrement encore que je ne connais pas. Il y a dans mon coeur des juifs, des musulmans, des protestants, des catholiques, des athées... Je suis né en Algérie, et en moi, chaque jour vivent ces peuples arabes, européens, juifs, kabyles, qui se déchiraient sous mes yeux dans mon enfance ? : Leurs chants, leurs langues, leurs traditions, leurs littératures... se mélangent, se bousculent en moi et m’habitent en permanence.

Je ne suis évidemment pas le seul. Tout un peuple d’étrangers en situation plus ou moins irrégulière vit en chacun de nous. Combattre le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination ne suffit plus.

Il faut porter haut et fort les valeurs qui sont attaquées de toutes parts aujourd’hui. Il ne s’agit plus de les défendre mais de les proclamer.

D’en faire le point de départ de nos discours et de nos actes mais surtout le point d’arrivée.


 

 


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