Prises de paroles

 

Noël

25 décembre

«C'est par grâce que nous sommes devenus des justes»

Voila venu le temps où la nuit n’est plus la ténèbre,
où l’éclat de la ville marchande
le cède à la lumière délicate, discrète de la crèche.
Voilà le temps où les chemins à prendre ne sont pas déjà tracés,
où les mises en route peuvent être la réponse à un appel,
et même à un murmure.
Voilà venu le moment où la voix devient Parole et corps
où l’Esprit de Dieu enveloppe avec amour notre humanité fragile.
Ce temps est là.
Maintenant.

Depuis des siècles, nous l’appelons Noël.
Mais que représente-t-il aujourd’hui pour nous dans ce monde ?
Quelle espérance peut-il nous aider à porter ?
Quels engagements peut-il faire lever?
Quelle sollicitude et quel regard neufs peut-il éclairer ?
Telle sera peut-être le sens de notre prière intime ou partagée
tout à l’heure.

A Noël, la nuit des veilleurs est attentive au petit et aux humbles :
l’enfant, les parents, les bergers, l’étable de pauvres animaux
Et c’est bien à partir de petites choses, gestes infimes, actions anonymes, paroles apparemment banales, quotidiennes aussi
Que la joie d’une naissance est toujours possible
et que son annonce se transmet au rythme lumineux de chacun.
Car c’est du cœur de ces Nativités
que nous pouvons écrire des histoires nouvelles
sur un lutrin, ce soir, en forme de berceau.

Alain Cabantous


Texte lu pendant la veillée

A cause du recensement, Joseph et moi, avons dû partir très vite pour Bethléem

« Yosef redoutait le recensement. Il ne plait pas au Dieu d’Israël qui a voulu notre peuple nombreux comme les étoiles de la nuit et comme le sable de la mer. »

De plus, à cause de mon état. « Il avait essayé de demander un report pour nous, j’étais sur le point d’accoucher, mais l’autorité avait repoussé sa requête. Yosef n’était pas bien vu. »

Moi, je pense « Que le recensement est un prétexte pour nous. Nous serions partis quand même. »

Pour l’enfant, « Sa dernière semaine devait être celle d’un voyageur, sans domicile fixe sur le dos d’une patiente ânesse. »

Pendant cette longue marche, je parlais à l’enfant qui allait naître : « Moi, je suis Myriam, et toi, toi qui es-tu ? »

A Bethléem, aucune place, les maisons sont archi pleines. « Il n’y avait qu’une minuscule étable avec un bœuf. La bête, elle du moins, fit bon accueil aux intrus, moi et l’ânesse. (…). La lune était dans son dernier quartier et à sa place brillait la lumière tranchante d’une comète moulée dans le ciel d’Israël. (…)

« C’était une belle nuit pour sortir mon petit agneau, une nuit limpide en haut et sèche sur terre (…)

Le bœuf à mugi doucement, l’ânesse a secoué fort ses oreilles. La première bienvenue au monde de Ieshu mon fils, fut un applaudissement de bêtes.
Je n’ai pas appelé Yosef. Je lui avait promis un fils à l’aube et il faisait encore nuit.
Jusqu’à la première lueur du jour, Ieshu n’est qu’à moi. Il n’est qu’à moi : Je veux chanter une chanson avec ces mots et c’est tout. Cette nuit ici à Bethléhem, la maison du Pain, il n’est qu’à moi (…)
Dehors, il y a le monde, les pères, les lois, les armées, les registres sur lesquels inscrire ton nom. Dehors, il y a le campement des hommes. Ici, il n’y a que nous. Une chaleur de bête nous enveloppe et nous sommes à l’abri du monde jusqu’à l’aube.
Puis ils entreront et toi, tu ne seras plus à moi.
Mais tant que dure la nuit, tant que la lumière d’une étoile errante est à pic sur nous, nous sommes seuls au monde. Tant que dure la nuit, c’est ainsi. (…)
La lumière de l’étoile pâlit, le jour vient en glissant depuis l’Orient et sort la nuit de ses gonds. Les bergers comptent leurs brebis avant de les dispenser sur les pâturages.
Yosef est devant la porte. Ioeshu, mon enfant, je te présente le monde. Entre Yosef celui-ci est maintenant ton fils. »

Erri de Luca « Au nom de la mère »

Méditation sur l'évangile

Marie retenait soigneusement toutes ces choses et elle les méditait.
Une petite phrase, glissée là par Luc, qui change tout.
C’est souvent le cas dans l’Évangile.
Méditer ces événements, dont elle a été une des actrices principales, est nécessaire.
Quand on médite sur des événements, on peut en faire un récit,
en faire une histoire
qui se rattache à une histoire plus ancienne, ou plus collective
l’histoire d’un peuple
Beaucoup de gens aujourd’hui ne savent plus vraiment à quelle histoire ils sont rattachés
Mais fêter Noël c’est dire qu’il y a eu une histoire, peut-être un peu oubliée, qui peut-être nous dépasse…
Et que ça serait bien d’y être rattaché.

Marie a donné vie à un enfant, c’est-à-dire à un homme
Un homme de plus dans l’humanité
En méditant elle a compris que son fils allait être au centre de cette humanité dans laquelle il entrait
Comment l’a-t-elle compris ?
En le voyant remettre chaque homme ou femme perdu qu’il rencontrait au centre de sa propre histoire
Le plus flagrant est quand Jésus rencontre un malade, un estropié ou un désespéré, mais cela se produit aussi quand quelqu’un vient le voir avec une question, une simple question.
C’est beau de voir comment il découvre la force de vie, la confiance inébranlable de ces gens-là, dans leur malheur ou dans leur nuit, et qu’il sait leur dire : « te revoilà au centre de ta propre vie, debout, prêt à aller plus loin… »

Il ne nie pas la souffrance, il ne rassure pas à bon compte
La souffrance existe, le malheur existe, la guerre et la maladie, il n’y a pas d’interdit à en parler, même ce soir.
Mais c’est difficile.
Il faut trouver les mots
Et pour trouver les mots, il faut beaucoup de simplicité et de lucidité, il faut avoir le regard juste.

Est-ce que nous savons aiguiser notre regard ? Apprendre à savoir pointer dans le monde la chose, l’événement, la personne qui doit nous mobiliser, c’est le premier pas du courage.
Fixer un point vers où aller, vers où peut-être entraîner les autres, un point crucial pour la paix, la justice, la liberté.

Permettez-moi une petite digression par la crèche : c’est le jour où jamais.
Nous l’avions fait l’an dernier avec une tente de SDF. Cette année nous l’avons faite avec des déchets, des chutes de bois provenant des découpes de pièces de charpente.
Il faut pour découper ces pièces un geste précis et sûr, efficace, et la pièce de bois va s’encastrer là où il faut. Elle va disparaître, se fondre dans un ensemble.
Sur la chute de bois, il ne reste que le geste, une forme, un trait de scie résultant de la découpe, complètement inutile puisque c’est un déchet.
Et la beauté pure du geste apparaît justement parce que c’est totalement gratuit.

Les déchets d’une œuvre d’art sont beaux, ils sont presque eux aussi une œuvre d’art (la crèche de cette année)
Jamais la beauté n’apparaît sans la gratuité.

Et les déchets des hommes ?
Je dirais même les hommes-déchets qu’on ramasse sur les trottoirs,
ou qu’on laisse là, parce qu’ils résistent
Ils ne veulent justement pas être ramassés comme des déchets
Ils veulent être relevés comme des hommes
mais est-ce qu’on a le regard qui les reconnaît pour ce qu’ils sont
Le regard suffisamment gratuit
Le regard qui découvre leur beauté
Sans jamais nier que :
La souffrance existe, le malheur existe, la guerre et la maladie,
Qu’il n’y a pas d’interdit à en parler, même ce soir.
Surtout que les mots pour en parler que je vais vous lire sont ceux d’un des ces hommes des trottoirs
Celui qui a écrit cela il y a quelques jours
se présente comme un tas de vêtements sales et puants
comme les pierres sur lesquelles il se couche
Brisé par l’alcool et agressif
tendons l’oreille à sa chanson :

Rouge blanc

Le thème d’Isaïe est la Paix comme guerre à la guerre
Celui de Jésus est la paix comme victoire de l’innocence

Jacques Mérienne

Seigneur nous voici une fois encore autour de cette table, forts des paroles que nous venons d’entendre
Forts de ce que tu nous donnes en cette nuit de noël :
un enfant fragile et démuni.

Nous nous tournons vers toi parce que nos forces d’hommes ne peuvent pas grand-chose devant les violences de ce monde.
Notre faiblesse nous fait baisser les bras et nous désespérer devant notre métier d’homme qui est à accomplir
• Les familles des otages de Colombie sont dans l’attente, dans l’espoir d’une parole de libération…
et toi tu fais de nous des êtres de liberté et de parole !
• Des familles entières sont dehors à la rue et attendent des paroles d’espoir pour être logées
et toi Seigneur, tu nous offres un enfant né dans une étable
• toutes les faces de la terre gémissent : ce ne sont que des cris de peur, de douleur, des paroles de certitudes qui terrorisent.
et toi Seigneur tu nous offres un enfant silencieux, fragile et démuni.
• c’est la nuit, la nuit noire pour beaucoup, les malades, les prisonniers, les esseulés, les blessés de l’âme
et toi tu nous offres la lumière d’un enfant né dans la nuit du monde.

Seigneur la faiblesse de cet enfant donné en cette nuit, cadeau pour l’humanité, pour chaque homme, est notre seule force et la vraie Joie que nous pouvons offrir au monde.
Avec tous ceux qui fêtent noël, quelle qu’en soit la manière, nous nous tournons vers toi pour accueillir et recevoir cet enfant fragile et démuni afin qu’il soit réellement une lumière pour le monde.

Florence Carillon

 

La lumière jaillira
Et toute ma maison
Assise au feu de bois
Apprendra ces chansons

La lumière jaillira
Parsemant mes silences
De sourires de joie
Qui meurent et recommencent

La lumière jaillira
Qu'éternel voyageur
Mon cœur en vain chercha
Mais qui était en mon cœur

La lumière jaillira
Reculant l'horizon
La lumière jaillira
Et portera ton nom

Jacques Brel


 


 

 

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