Prises de paroles

 

Jour de Pâques

Emmaüs

Tout y est, tout est dit et avec quelle chaleur, avec quelle proximité au Christ ressuscité, présence vivante et intime qui ne s’impose pas.
On peut lire ce texte de bien des façons :
Un texte des passages:
de la tristesse à la joie, de l’attente à l’annonce, de l’incompréhension à la reconnaissance
Un texte des déplacements
Le chemin, la route, l’aller et le retour : lieux de la rencontre, lieu de l’annonce
Un texte liturgique tant sa structure se retrouve dans nos célébrations eucharistiques.
Si je me sens si proche d’Emmaüs ou plutôt si Emmaüs m’est si proche c’est que cet Evangile mêle fortement l’expérience du quotidien, celle de nos aujourd’huis, et l’expérience spirituelle, celle de la rencontre avec Dieu, dont l’articulation reste pour moi l’identité centrale du christianisme.

« Pendant qu’ils parlent entre eux des récents évènements, Jésus en personne s’approche pour marcher avec eux »
Se réunir au nom du Christ pour lire les évènements comme signes ou comme contresignes du royaume en sachant qu’il est au milieu de nous, c’est toujours chercher à décrypter le sens d’une annonce qui nous est faite.
« Arrivés près du village où ils se rendent, lui feint d’aller plus loin. Ils insistent : Reste avec nous, c’est le soir, le jour tombe déjà »
Sommes-nous sûrs de pouvoir nous installer, de pouvoir emprisonner l’instant. Notre espérance est de savoir que si le Seigneur reste avec nous, il est déjà devant nous, qu’il est cette présence-absence indispensable lorsque l’on sait que la ténèbre est aux portes ou simplement que la nuit vient.
« Attablé en leur compagnie, il prend du pain, il prononce des paroles de bénédiction, il partage le pain et le leur donne »
C’est ce don qui devient le signe de Dieu : don du pain, don de la vie en toute gratuité, simplement pour que nous la fassions naître à notre tour. La résurrection commence à cet instant pour ces deux marcheurs

Lu ce matin, Emmaüs est bien le témoignage d’une expérience de la Résurrection de Jésus parmi bien d’autres mais rapportée avec nos mots, nos gestes, nos interrogations simples et essentielles.
Et pourtant une certitude longue à venir, se fait brûlante peu à peu.
« tu es bien le seul qui n’ait pas appris ce qui s’est passé ces jours-ci à Jérusalem »
« que vos cœurs sont lents à croire »
« alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent »
« Tant qu’ils le voient, ils ne le reconnaissent pas ; quand ils le reconnaissent, ils ne le voient plus » (X. de Chalendar)
Telle est la manifestation de la résurrection pour le couple Cléophas.
La rencontre, l’échange, la halte, la fraction du pain ont suscité quelque chose de nouveau,
Tout cela a remis ces deux désespérés, ces deux désemparés en marche, tout cela les a recrées

Dieu, premier créateur, re-crée l’homme à travers la présence de celui qui l’a aimé plus que tout homme et qui, comme lui, aime tout homme.
La résurrection c’est l’accomplissement de la volonté amoureuse de Dieu qui appelle Jésus à être le premier des Vivants
C’est aussi la voie véritable que le Christ nous ouvre ce matin, une fois encore,
pour que nous soyons, nous aussi, des vivants, au-delà du chagrin et de la séparation, au-delà de la mort .

Le Christ, en accomplissant en plénitude le dessein du Père nous a libérés
pour que nous puissions marcher sur cette route d’Emmaüs,
pour que nous la parcourions dans les deux sens,
pour que nous puissions aussi nous arrêter pour rompre le pain, échanger des nouvelles, faire part de nos doutes et de nos peines,
pour qu’elle soit la route des rencontres, des possibilités d’accomplissement de ce que le Seigneur souhaite pour nous.
« C’est vrai, le Seigneur est ressuscité et ils racontèrent ce qui s’était passé sur la route et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain »
Emmaüs, ce texte formidable, est bien une théologie de la Libération.

Alain Cabantous