L'Homme Debout
 

" HOMME DEBOUT, HOMME SOLIDAIRE
La solidarité, alibi d'une société individualiste ? "

Une table ronde, animée par Jean-Claude ESCAFFIT,
Journaliste (La Vie), avec

Miguel BENASAYAG, Philosophe et Psychanalyste, argentin
Dominique BERTINOTTI, Maire du 4ème arrondissement de Paris
Laurence BOBILLIER, Journaliste FR3
Rony BRAUMAN, ex Président de Médecins Sans Frontières
Patrick VIVERET, Economiste et philosophe

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Présentation

De nouvelles formes de solidarité émergent dans la société actuelle. Souvent ponctuelles, elles cherchent à répondre à des besoins précis. Non sans efficacité. Elles invitent à inventer de nouvelles façons de s'engager : moins sur des projets à long terme que sur des actions immédiates ; moins à partir d'une vision d'ensemble que d'un secteur particulier.

Il est donc nécessaire aujourd'hui d'approfondir le sens de nos solidarités. Et de laisser interroger nos conceptions de la justice et de la fraternité. Des liens sociaux durables sont-ils créés ? Une lutte efficace contre les multiples formes d'exclusion est-elle réellement favorisée ? Puis-je être solidaire sans être engagé ? De qui suis-je solidaire ? Mes choix de vie sont-ils concrètement solidaires ?

La solidarité est-elle la dernière requête d'une société d'individus ou la manifestation de la recherche d'un nouveau Vivre Ensemble ?

Jean Claude ESCAFIT

La solidarité est un terme médiatique, peut-être galvaudé, utilisé dans tous les domaines sociaux, économiques politiques. Elle s'intéresse à un champ multiforme, une réalité en mutation. Quelles relations entretient-on avec l'idée de solidarité ? Y a-t-il une crise de l'engagement humanitaire ? La solidarité est-elle l'alibi d'une société individualiste ou bien est-elle constitutive de tout lien social, comme ce devrait être le cas ?

En guise de présentation, chacun des invités peut-il exprimer comment est née sa conscience de solidarité ou comment se sont formés ses engagements solidaires ?

Dominique BERTINOTTI

Ce n'est pas ma fonction de maire qui m'a fait naître à la solidarité, celle-ci est une partie intégrante du projet politique qui est le mien et celui de mon parti (le PS). Ce qui m'intéresse dans la solidarité c'est comment dans une pratique quotidienne d'élue, de responsable ou de citoyen pour le traitement de l'exclusion, elle peut trouver sa place, comment comme politique nous assumons des taches et des fonctions de solidarité. Est-elle un devoir naturel du politique, mais dans ce cas comment peut-elle ne pas être dévoyée pour servir seulement à alléger les consciences des citoyens ?

Patrick VIVERET

J'ai eu de nombreux engagements notamment politiques, j'ai rédigé un rapport en 2000 " Reconsidérer la richesse ". Je soutiens la création du RMA, Revenu Maximal Acceptable, avec le MEDEFF à ne pas confondre avec l'autre MEDEF, celui-ci signifie Mouvement pour un Espace de Désintoxication Economique et Financière et pour la Fraternité … Mais je suis tombé dans la " marmite " de la solidarité fort tôt, par différents engagements comme déjà tout jeune à la JEC dans les années lycée, j'ai beaucoup pratiqué le flirt apostolique ….

Laurence BOBILLIER

Pour ma part je n'ai pas d'engagement militant, mon métier de journaliste est de témoigner et d'informer, c'est ainsi que je vis des solidarités. La Télé est accusée de tous les maux, elle remplit pourtant une fonction importante dans l'expression des solidarités.

Rony BRAUMAN

J'étais gauchiste avant de prendre des responsabilités à MSF, je ne l'étais plus pendant cette période. La solidarité à l'origine évoque pour moi d'abord un engagement à l'époque de la guerre du Vietman, je suis de la génération anti-impérialiste. Maintenant le mot de solidarité est plutôt pour moi une mine des questions, plus qu'un grand chant d'amour. Le gauchisme n'était pas seulement un engagement politique, il exigeait une suite à l'engagement politique, l'idée d'une appartenance à une humanité en devenir, d'une proximité avec tous les exploités ou pauvres. C'est cela qui reste vrai pour moi. Le métier de médecin m'a aussi certainement ouvert à un prolongement de l'action politique ou humanitaire, un sens de l'intérêt général, de rendre service. Ma pratique a permis un trait d'union entre la politique et la solidarité

Miguel BENASAYAG

Toute mon histoire est marquée par la solidarité. Je suis un mélange indien gorani, argentin et juif français. J'ai toujours eu une expérience directe de l'idée de la solidarité, en ayant vécu très tôt le sentiment d'injustice et de la révolte, qui a toujours été présente. A mon avis la question n'est pas tant de savoir si on est solidaires aux autres que si on a suffisamment de qualité humaine : tourner le dos à l'autre, c'est d'abord se détourner de soi même. Le manque de solidarité c'est pas d'abord un rapport dégradé à l'autre, c'est un rapport dégradé à soi même. La question n'est pas avec qui tu es solidaire, car avant de dire cela il ne faut pas oublier de dire qui tu es toi, avec quoi tu es, avec quoi tu vis. La dégradation d'un être peut-être telle que le manque de solidarité n'est qu'un manque d'humanité.

Jean Claude ESCAFIT

Je vous rappelle deux définitions de la solidarité dans le dictionnaire : " relation entre personnes ayant conscience d'une communauté d'intérêt, qui entraînent pour les uns l'obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance " " Solidarité se dit des partis d'un tout qui sont interdépendantes ". D'après ces définitions la solidarité paraît vitale pour la vie en communauté, pour la vie tout court. Peut-on décrire les mécanismes psychologiques qui font que les gens naissent à la solidarité ? Est-ce un processus personnel ou extérieur à la personne ?

Miguel BENASAYAG

Personne n'est né à la solidarité, c'est vraiment une question de déploiement de notre être. Plottin disait " Le moi est quelque chose d'extensible ". On ne connaît pas les limites du moi, ni ce qui est constitutif de moi. Le problème est qu'on peut diminuer la dimension et l'intensité de notre vie, du moi. Dans une société individualiste, sécuritaire, où la peur et la notion de survie sont très présentes, l'humanité est dans un processus collectif d'évolution dans notre rapport aux autres. L'individualisme peut faire croire que les liens sont négociables : si l'autre m'aime je l'aime, dans la famille, dans les rapports sociaux … Si l'autre me respecte je le respecte , on est un peu dans un rapport marchand, du donnant donnant. Mais les liens ne se négocient pas, ils ne sont pas optionnels, ils sont existentiels, on doit les assumer, bien ou mal.

Rony BRAUMAN

Marcel Maus dit " Ce qui est vivant colle ". Les cellules collent entre elles, c'est la caractéristique du vivant, qui le distingue du minéral. Nous appartenons à un monde qui colle. La notion de crise, au fond c'est quand ça ne colle plus, que la société se disloque. La solidarité c'est ce qui tient ensemble, pas forcément ce qui est intéressé à tenir ensemble.

Miguel BENASAYAG

On ne peut pas être tout pauvre à l'intérieur de soi, égoïste, vivre sans richesse humaine et être solidaire. Moi j'ai vécu cela en sortant du cachot, je voyais des gens qui voulaient être solidaires avec moi mais qui vivaient la solidarité comme un impôt, triste, et qui n'avait rien à m'apporter. En fait j'avais une forte estime de moi, et n'avais que faire de leur compassion.

Jean Claude ESCAFIT

Elargissons le débat. La solidarité existe naturellement dans le famille, dans la tribu, la cité. On ne sait plus trop où s'arrêtent les frontières de la conscience solidaire, dans l'entreprise, le village planétaire. A partir de l'événement du tsunami en décembre 2004 il y a eu un phénomène important, un cas d'école de solidarité. S'agit-il d'un réveil de la conscience de solidarité planétaire ou une caricature ? Qu'est ce qui s'est passé au juste ?

Rony BRAUMAN

Non il n'y a pas eu de réveil, on n'a pas attendu le tsunami pour voir ces mécanismes à l'œuvre. Mais il a mobilisé beaucoup de gens au moment de Noël, en affectant de nombreux européens comme ce n'était pas arrivé depuis la guerre, et en produisant un mouvement très fort dans l'opinion. En plus il s'agissait d'une catastrophe naturelle, dans laquelle on a le sentiment d'être étranger à son destin, c'est différent par exemple de la torture qu'a vécu Miguel BENASAYAG qui peut donner le sentiment de quelque chose qui n'est pas étranger à son propre destin. Cette catastrophe du tsunami a certainement provoqué le plus fort engouement en Europe depuis le tremblement de terre de Lisbonne. Et puis il est apparu un mouvement médiatique et une instrumentalisation de la catastrophe et de l'émotion qu'elle véhiculait, par des gens d'intérêts divers au sein de l'ONU, des ONG et des médias : ce mouvement n'était pas sain dans la mesure où il stigmatisait les conséquences de l'événement comme les populations atteintes, où il était porteur de cynisme, avec la fabrication de fausses nouvelles, des mensonges qui insultaient collectivement ces populations et induisaient de mauvaises postures dans le secours à organiser et les moyens à mettre en œuvre.

Miguel BENASAYAG

La solidarité ne naît jamais d'un désastre que l'on regarde en face, mais de la joie individuelle et collective liée aux actes concrets de solidarité et d'entraide face à ce désastre, d'un geste d'amour qui est don de soi. Elle apparaît en présence de quelque chose de mieux mais jamais face au pire, parce que le pire est un puits sans fond.
Pour moi l'expérience de la solidarité ce n'est d'avoir vu des indiens massacrés mais c'est les révoltes joyeuses que cela a provoqué et aux quelles j'ai participé. C'est se dire que la vie est tellement plus riche dans cette forme de mouvement. C'est une expérience très différente du narcissisme qui consiste à constater " moi je bouffe tous les jours, je suis en sécurité, etc, l'autre pas, il est malheureux " et qui n'est pas en soi de la solidarité. La joie dont je parle c'est celle de Spinoza.

Rony BRAUMAN

Je ne suis pas vraiment d'accord, la joie de la fraternité n'est pas le seul moteur, il y a d'autres déterminants. Je suis d'accord par contre sur le fait que l'émotion ressentie est importante dans le déclenchement du processus, et pas seulement le sentiment du devoir d'aider l'autre. Il y a toutes sortes de joies mauvaises.

Patrick VIVERET

Je suis tout à fait d'accord avec Miguel. Certes il y a des plaisirs pervers, mais la vraie joie n'est pas mauvaise.
Gabriel Marcel disait que " l'égoïste est celui qui ne s'aime pas assez ", il engendre une souffrance intérieure quand la qualité de relation avec soi-même est dégradée et provoque une quête de la reconnaissance d'autrui démesurée. Quand on est capable de rétablir la communication fondamentale avec soi même, et une vraie qualité de relation établie avec autrui, avec l'univers, le cosmos, l'intensité de vie est beaucoup plus forte et alors la sensation la plus forte est un sentiment de joie contagieuse. Cela rejoint le personnalisme d'Emmanuel Mounier.

Dominique BERTINOTTI

Je suis en accord avec Rony Brauman, cette notion de joie ou de qualité de relation avec soi même ne déclenchent pas nécessairement l'action politique de solidarité. L'idée qu'on fait partie d'un tout, le constat clairvoyant que notre société " ne colle plus " lorsqu'elle secrète la grande exclusion et la précarité c'est aussi le moteur de la prise de conscience de la solidarité nécessaire et que nous avons un énorme travail à faire en tant que responsable ou militant politique.

Laurence BOBILLIER

Dans le cas du tsunami, l'émotion est née quand même chez les gens par le moyen de l'information de masse, par ces images et ces témoignages bouleversants qui ont déclenché l'élan de la solidarité. On peut être critique sur la caisse de résonance que constituent les médias, mais on peut aussi reconnaître leur apport et voir leurs bons cotés ….

Rony BRAUMAN

Je crains les retours de bâton de ce genre de situation. Dans le cas présent, on a collecté 10 fois trop de fonds sur l'urgence, alors qu'on a du mal à en collecter ailleurs. Les ONG sont confrontées à des problèmes considérables de gestion créés par une surabondance que je qualifie de scandaleuse. Bien sûr les ONG ne reconstruisent pas un pays, elles peuvent éventuellement le faire croire grâce à la toute puissance des discours de l'humanitaire, et de l'apitoiement. Mais ce peut être une utilisation irréfléchie des émotions, qui engendre une situation malsaine, le résultat d'une méconnaissance des situations locales. Il n'y a pas tellement de besoins d'urgence dans les catastrophes naturelles, ils sont toujours surévalués. Et puis cracher au bassinet ce n'est pas vraiment se mobiliser, en tous cas c'est différent.

Laurence BOBILLIER

Oui, ce que vous dîtes est un discours audible non seulement par les médias mais aussi par les gens. Après l'information, il faut donc un débat entre ONG, et entre celles-ci et les responsables politiques sur l'utilisation de l'aide, son orientation et ses finalités. Pour ma part je suis très critique sur la TV, qui fait partie d'un univers concurrentiel entre médias et groupes de pression, dont les ONG sont une des composantes, où il faut être les premiers à informer, ce qui peut engendrer la surenchère. Mais entrer dans le débat sur l'organisation de la solidarité, c'est pour nous journalistes, dépasser notre rôle d'informer.


Patrick VIVERET

Il faut reconnaître les aspects positifs dans la nature des émotions exprimées à une occasion comme celle du tsunami. Et aussi être lucide sur les phénomènes de marchandisation qui se jouent dans l'exploitation de ces émotions. La mise en scène de la compassion peut avoir un rôle destructeur, tandis que là aussi se joue une authentique fonction politique. Cette mise en scène peut être un simulacre de rachat permanent des péchés collectifs : on s'achète ainsi une conduite, nous sommes dans un capitalisme puritain qui pratique le trafic d'indulgence et pas seulement le trafic d'influence. La monnaie du salut est au cœur des contradictions de notre économie financière.

Laurence BOBILLIER

On assiste au problème de la montée en puissance des communicants, un phénomène de marketing de la compassion sur des sujets divers comme le cancer, le sidaction, le téléthon …Cette concurrence est très difficile à gérer dans le métier de journaliste, un événement chasse l'autre en permanence, ce qui oblige à réfléchir le traitement de ces informations.

Rony BRAUMAN

On ne peut pas accepter comme ce fut le cas en décembre dernier des mensonges énormes, comme des annonces d'épidémie faites par un notable spécialiste qu'on laissait parler à tort et à travers, tandis que d'autres disaient dans le même temps qu'il ne fallait pas vacciner car cela ralentissait les secours locaux. Dans une catastrophe, il ne faut en réalité pas beaucoup de monde. Personne n'a demandé de compte à cette personne c'est regrettable.

Miguel BENASAYAG

Je voudrais revenir sur la notion de joie qui vous faisait réagir chacun. La joie c'est ce qui compose par rapport à ce qui décompose. Pourquoi est-on solidaire ? A mon avis c'est parce qu'on construit ainsi des vrais rapports humains, des situations plus riches que quand on choisit d'être individualiste. Tant que c'est un mouvement de moi vers l'autre, ce n'est qu'une idée. Dans un mouvement de solidarité on crée un sentiment réciproque plus élevé, de la possibilité d'une vie meilleure, plus riche, que dans une vie égoïste.
Une anecdote : des jeunes antifascistes allemands, blancs et blonds rencontrent des jeunes antifascistes français, beurs et noirs mélangés. Pour les français leurs convictions c'est une expérience vécue de métissage tandis que pour les allemands largement plus antifascistes dans le discours ce n'était qu'une idée.
Si je suis solidaire, ce ne peut pas être qu'une idée. C'est la même chose dans le mouvement féministe : pour les hommes c'est la possibilité de ne pas se comporter comme un crétin face à une femme, et pas seulement de discourir. Etre solidaire, c'est soi même en tant qu'homme qui change de comportement. La question que le métèque se pose quand quelqu'un lui dit " je vais être solidaire avec toi ", c'est qu'est ce que tu fais chez toi, comment tu te comportes dans d'autres circonstances, moi je ne suis pas d'abord une victime mais un être humain. Face au tsunami, tu donnes des sous, c'est très bien, mais qu'est ce que tu fais dans ton quartier, dans ta vie, dans ton quotidien … Le problème pour moi de la solidarité, c'est qu'elle est nécessairement un mode de vie.
Il y a un autre problème que je voudrais aborder, c'est la criminalisation de la solidarité, je fais référence aux animateurs de la CIMADE, aux gens solidaires avec un squat, aux travailleurs sociaux tenus de dénoncer ceux avec qui ils travaillent, comme on l'a vu à Sangatte. Trop souvent la solidarité est vue comme ce qui concerne exclusivement les looser, quelqu'un qui va bien n'a pas besoin de solidarité, quelqu'un qui a besoin de solidarité est quelqu'un qui va mal. Il faut penser autrement : comme un échange de richesse ou comme un rapport qui n'est pas inégal entre le nord et le sud. La solidarité n'est pas dans l'ordre du rapport assistant-assisté.

Dominique BERTINOTTI

Dans le 4ème arrondissement, qui est un quartier bourgeois, on a choisi dès le début de la présente mandature de se confronter aux SDF. J'avoue que pour ma part, j'avais le regard moyen de celui qui peut avoir un geste sans dépasser cette compassion. Lors des grands froids, nous avons fait ouvrir une salle d'urgence. Il m'a semblé impossible d'en rester là une fois la température revenue à la normale. Comment avoir une démarche en tant que collectivité et élus politiques qui ne soit pas une aide ponctuelle, temporelle et conjoncturelle dans l'immédiateté. Et je reproche à la TV que dans les actions de solidarité comme le tsunami l'émotionnel implique forcément une démarche purement conjoncturelle, un geste dans l'immédiateté. C'est comme si cela nous dédouanait de tout le reste, de tout ce que la société marchande engendre comme exclusion.

Laurence BOBILLIER

Sauf que ça ne dédouane pas les politiques de faire leur travail, à la TV on montre des reportages sur les SDF, c'est une peu facile d'incriminer les médias, ce n'est pas parce que ça passe ou non à la TV que les politiques peuvent oublier leurs responsabilités.

Dominique BERTINOTTI

Oui mais vous montrez toujours des reportages sur les SDF dans leurs conditions de vie les plus détestables sur le moment, moi je n'ai pas vu des reportages qui s'intéressent vraiment aux racines de leurs conditions de vie et sensibilisent nos concitoyens sur comment ces personnes arrivent dans la rue. On a chacun ses responsabilités, mais elles ne sont pas du même ordre.
Nous avons donc continué notre travail avec les associations de quartier. Un tout autre champ d'actions s'est ouvert. Il faut souligner les limites des services sociaux et de l'état providence dans notre société : ils sont dispensateurs d'aide qui traitent le problème social de l'individu mais il y a un déficit en suivi de social pour de multiples raisons. C'est pourtant ce qui éviterait de considérer ces gens comme des assistés. C'est par exemple le cas révoltant des personnes les plus fragilisées qui doivent suivre un parcours du combattant pour s'en sortir, le plus compliqué qui soit, à cause de l'éclatement des lieux où trouver des solutions, c'est à ces personnes que l'on impose un surcroît d'obstacles. A travers cette expérience, il s'agit d'une part de la remise en cause de l'état providence, qui doit évoluer vers un stade plus élaboré, et d'autre part d'une réflexion sur la question de la proximité. Car les SDF ont également droit à la proximité pour plus d'efficacité et pour sensibiliser les habitants voisins. En tant qu'élus nous sommes interpellés quand il y a une situation qui dérange en bas des immeubles, on règle le problème mais ça ne dédouane personne, ni les élus, ni ceux qui les interpellent.
Et j'avoue qu'il s'agit de mon principal champ d'interrogation : les gens sont-ils vraiment disposer à se mobiliser devant ce type de situations ?
Nous avons espéré par le biais des conseils de quartier mobiliser les gens. Ce n'est peut-être pas l'institution la plus pertinente, je reste un peu sceptique sur la solidarité en œuvre dans nos quartiers, et je pense que les politiques ont un travail considérable pour faire avancer cette idée. Les gens demandent de l'assistance plus proche de la charité que du traitement social qui est un produit collectif de décisions politiques et de travail associatif.

Patrick VIVERET

Revenons au sujet central du débat. Il faut faire le lien entre " l'homme debout " et " l'homme solidaire ". Etre un homme debout n'est-ce pas de ne pas supporter l'état de sous humanité d'autrui. Le premier sentiment c'est la colère, pas l'apitoiement. Notre monde connaît la misère aux deux bouts de la chaîne : d'une part une sous-humanité de trois milliards d'êtres vivant en dessous de tout seuil acceptable, d'autre part une misère affective, spirituelle, éthique, des gens incapables de vivre debout, y compris chez les nantis. Alexander Loewen disait que traverser la vie le cœur fermé c'est comme faire un voyage en mer à fond de cale. Il y a tous ceux que l'on condamne à être à fond de cale, mais il y a aussi l'autre qui est un rival car la vie est un combat. La misère trouve sa source à travers toutes les inégalités.
La plupart des problèmes de rareté à l'origine des exclusions ou de la misère sont en réalité une production artificielle de rareté sur le plan physique, monétaire, économique, social … Avec 50 Milliards d'euros on pourrait faire de progrès concrets vis-à-vis de la famine, de l'accès à l'eau potable ou des besoins sanitaires de base, alors que 500 Milliards sont dépensés pour la publicité, 500 Milliards pour les stupéfiants et 1000 Milliards pour l'armement. Gandhi avait déjà remarqué qu'il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous mais pas assez pour satisfaire le désir de possession, donc la cupidité. C'est le cœur de problème. Ce sont les coûts du mal-être du coté de la possession qui se répercute dans la sous humanité de la misère. Construire de la solidarité, c'est construire aussi de la lutte contre l'inégalité. L'instauration d'un RMA (Revenu Maximal Acceptable) devrait être soutenu d'abord par le ministère de l'intérieur, car les trop grandes inégalités sont une atteinte à l'ordre public et à a toute capacité de civisme, quand un tel degré d'obscénité dans les inégalités fait le lit de l'incivisme. Il devrait aussi être soutenu par le ministère de la santé car elles affectent l'état de santé mental de nombre de personnes quand des niveaux scandaleux de fortune ne correspondent à aucun travail, aucun effort ou mérite particulier, et n'ont plus aucun rapport avec la réalité.
Derrière la lutte contre les inégalités il y a fondamentalement le fait que cette misère se trouve aux deux bouts de la chaîne de la société, et il faut nécessaire de remettre les hommes " debout ". Je fais la suggestion suivante : que l'on fasse des reportages par exemple sur Pedro Mecaria et sur la " Moquette ", l'association qu'il anime avec les " compagnons de la nuit " où on débat avec des SDF qui sont des êtres debout, qui ne sont pas identifiés par leurs manques mais comme des êtres humains porteurs de projets, de savoirs et de relations. Voilà un lieu qui n'est pas dans la logique soit de l'assistance, version souvent de gauche, soit de la criminalisation de la pauvreté, version de droite.

Jean Claude ESCAFIT

Pour aller plus loin, comment peut-on faire pour recréer du collectif et pour combattre la précarité de l'individu dans une société fondamentalement individualiste ?

Miguel BENASAYAG

Il faut être clair à mon avis. C'est une vision perverse et réactionnaire de penser que c'est un devoir d'être solidaire avec d'autres parce que c'est justement la racine de la fabrication de l'exclusion. C'est-à-dire qu'il y a deux visions inconciliables de la société : ou bien la société c'est ceux qui ont un appartement, qui votent, qui ont des papiers, sont propriétaires, ont un numéro de sécurité sociale, tout ce qui est nécessaire pour vivre normalement, tandis que les autres qui n'ont pas tout cela sont le problème pour la société. Dans ce cas la société composée de nous tous a un problème avec l'exclusion. Quand nous parlons des gens comme étant un problème à résoudre, à gauche on veut le résoudre, à droite on veut l'éliminer, mais c'est pareil. Ou bien la société c'est tout le monde. Et alors la conscience des inégalités engendre une lutte véritable, comme par exemple au DAL, un engagement politique profond, une expérience qui réunit les hommes et les femmes.
Dans notre société la question de la solidarité c'est une question politique sur comment on pense la société : il n'y a pas d'exclus, il y a des gens qui sont mal, très mal, et il y a des gens qui sont pas encore mal. Alors tous ces gens sont pas des ennemis, il n'y a pas ceux qui sont dedans ou ceux qui sont dehors Un taulard ou un SDF sont dans la société. Est-ce que nous voulons un monde comme les " countries " en Amérique latine, ces quartiers riches fermés par des barbelés, avec les bidonvilles autour ?
C'est une question à double sens : ou bien nous sommes tous embarqués dans la même société, ou bien il nous faut aider ceux qui sont dans la merdouille, et on leur donne un peu par devoir, pour des raisons diverses qu'en tant que psychanalyste je n'ai jamais trop aimées. Cela nous appelle à un changement existentiel du comment nous vivons.

Jean Claude ESCAFIT

Peut-on à votre avis parler de crise de l'engagement solidaire ? Les jeunes générations en particulier sont-elles moins engagées dans les associations ou les mouvements en tout genre ? Assiste-t-on à une mutation des formes de solidarités ? Je pense par exemple à d'autres formes de conscience planétaire, comme le forum social mondial.

Rony BRAUMAN

Il faut y réfléchir dans les termes très justes de Miguel : qu'est ce qui fait société, l'ensemble de ceux qui y sont, ou seulement ceux qui ont un statut ? Ceci dit je ne crois pas que nous nous trouvons dans une phase de déclin, dans une crise, ou au contraire dans une apothéose. La recomposition des formes d'engagement est certainement en cours, elles tiennent aux mutations de la planète. On ne pourrait par exemple plus être solidaire du Vietnam en lutte comme à l'époque de sa libération, ça n'aurait plus de sens. Dire que ce n'est plus comme c'était avant, n'implique pas le constat d'une crise de l'engagement et que ces jeunes générations seraient incapables de se prendre en charge. Je repère cette forme archétypale de réflexion qui est celle du " vieux con ", et ce n'est pas une question d'age. Elle veut généralement dire que c'était mieux avant le propre déclin physique de celui qui l'exprime, elle ne décrit pas tant un déclin social que le regret de ses propres 20 ans. Parler de crise de l'engagement solidaire est de cet acabit. De tas d'initiatives humanitaires, culturelles, sociales, utopiques même, politiques sont là. Je ne crois que ce soit cela qui soit en cause.

Patrick VIVERET

Nous ne sommes pas contre les vieux mais contre ce qui les fait vieillir, c'est une phrase de 1968. Il y a une mutation très positive ; on est sorti des logiques soit de militantisme sacrificiel, soit de la version purement caritative de la solidarité, ce que j'appelle le droit des bénévolés face aux bénévoleurs….On sort de ce modèle pour être dans quelque chose qui rappelle en effet l'intuition du personnalisme, à savoir le rapport profond entre transformation personnelle et transformation sociale. Il m'apparaît très significatif qu'à Porte Allegre pendant le FSM se soit créé un atelier sur ce thème, qui a pris corps et qui a essaimé. Une association en France " Interaction transformation personnelle - transformation sociale " a vu le jour dans ce sillage.
Il n'y a pas d'opposition entre ce qui est formidablement émancipateur dans le processus d'individuation, qui est différent de l'individualisme, et le processus d'appartenance à ce monde commun, à cette d'aventure collective de l'humanité. Lier le global et le local était un leitmotiv qui reste vrai, mais de plus en plus une tension dynamique se joue entre le personnel et le mondial.
Et ceci nous donne en même temps de la joie. C'est l'envers du militantisme sacrificiel, ce qu'on appelle les coopérateurs ludiques. Face aux logiques guerrières et puritaines de la guerre de civilisation des fondamentalistes ou de la société marchandisée, on ne s'oppose pas à ces logiques sur le même terrain. Il faut être sur celui de la coopération et de la solidarité, mais cela ne se vit pas dans la tristesse et l'apitoiement. C'est pour elle-même une source de joie, un sentiment profond d'appartenance à une aventure humaine, qui peut connaître des épreuves, des souffrances mais qui est profondément passionnante et mystérieuse.

Dominique BERTINOTTI

Il faut quand même insister sur le constat de la montée de l'individualisme. Mon interrogation au parti socialiste est partie du droit à la différence, qui était à un moment donné vécu positivement comme reconnaissance des minorités ou d'orientations qui n'étaient pas pleinement acceptées collectivement. Mais on a oublié de lier cette revendication au destin collectif, au vivre ensemble. Aujourd'hui on est dans la confrontation entre la nécessité du collectif et le droit à la différence, avec le risque de ghettoïsation ou de communautarisme.

Questions dans la salle

Je suis médecin dans un CHU, des gens demandent des certificats médicaux dans le but avoué ou non avoué de pouvoir rester en France. Quelle ligne de conduite proposez- vous ?

Rony BRAUMAN

Cela s'inscrit dans une relation. La loi sert parfois à se cacher, et à protéger, ce n'est pas méprisable en soi. Parfois elle peut aggraver des situations ou devenir terrifiante, inhumaine, il faut savoir l'ignorer et passer par-dessus dans certains cas.

Miguel BENASAYAG

La solidarité comme le désir de justice ne s'assimilent pas à la contestation systématique des lois ou à la transgression, c'est au nom d'une loi supérieure qu'on est solidaire. Il ne faut jamais extrapoler l'individuel avec le social au cas par cas. C'est comme dans " en attendant Godot " : ici et maintenant, l'humanité c'est toi et moi. Donc il faut à la fois militer pour une loi plus humaine et à la fois respecter notre déontologie qui consiste à tout faire pour éviter l'extradition de ces gens, il n'y a pas de contradiction. J'ajoute comme praticien qui a beaucoup été confronté à ces situations qu'il faut que tous les collègues fassent aussi leur boulot, pas toujours les mêmes.

Il y a quand même des maillons ou des groupes sociaux plus faibles que d'autres, quel type de solidarité vis-à-vis d'eux vous paraît le plus nécessaire ?

Patrick VIVERET

Il faut savoir comment faire, c'est d'abord une question de méthode. Si l'on reprend l'exemple des 50 Milliards d'euros pour résoudre le problème de l'accès à l'eau potable, faire agir les multinationales ou les acteurs locaux avec leur savoir faire ne revient pas au même. Il y a le droit à se nourrir soi même comme dit la Confédération Paysanne. La capacité a se réapproprier sa propre vie est une progression dans l'ordre de l'être. Faire " avec " ou " pour" n'est pas indifférent et implique de grandes conséquences sur le plan stratégique. La question à se poser est où sont les ressources. Travailler à dynamiser les ressources qui existent comme chez " les compagnons de la nuit " ou " les réseaux d'échange de savoir " est fondamental.

Peut on être solidaire sans croire a quelque chose ? La crise de la solidarité n'est -elle pas une crise de la croyance ?

Rony BRAUMAN

Non je ne me reconnais pas dans cela

Comment se fait le passage entre une société ou l'on a des problèmes avec certains qui ont des problèmes, et une société faite de tous? La démarche thérapeutique est-elle la voie ? C'est très mystérieux comment émerge cette ouverture à l'autre, à la société. Comment l'expliquez vous ?

Miguel BENASAYAG

C'est toujours une rencontre : avec quelqu'un ou avec une situation ou avec un " levier " en soi même. Ce qui arrive me regarde et m'arrive à moi : une thérapie, une rencontre, un amour. La solidarité naît d'un " plus ". Voyez le livre de Florence Aubenas, dont l'axe central porte sur la résistance : ce sentiment ne naît pas en moi par une introspection, mais dans une expérience d'une vie plus riche spirituellement, ou sur un autre plan, qu'une vie isolée. Même en lisant un livre dans la solitude, il y a quelque chose qui nous touche en positif, parce que il n'y a pas aucune douleur assez profonde pour provoquer le besoin de solidarité, tandis que dépasser cette douleur provoque la solidarité ce que Boris Cyrulnik appelle la résilience.

Pedro MECARIA

Pour ce passage qui consiste à aller à la rencontre de l'autre, non pas pour donner mais pour apprendre à recevoir, cela demande de dépasser la frontière qui passe en chacun de nous. Pour ma part j'ai cru il y a 30 ans que je pouvais changer le monde, je me suis trompé d'analyse. Ce que j'ai appris c'est que le monde ne changera pas si nous ne changeons pas nous-mêmes.
Moi je suis croyant. Chaque être humain a l'humanité en lui à découvrir et à faire venir. Le Christ me révèle ce à quoi l'homme est appelé autant que Dieu. Ma foi n'est pas forcément partagée par les gens que je rencontre bien qu'ils partagent mon espoir.
Je crois que notre monde est en hiver, c'est le moment de planter pour le printemps, bien qu'il s'agisse d'un moment dur et difficile.
Ma source de joie et d'humanité c'est la rencontre avec des gens qui apparemment n'ont rien à apporter.
Le trésor que chacun porte en soi est caché par la société lorsqu'elle ne donne pas les moyens de vivre décemment. Mais c'est terrible de constater seulement les manques matériels en faisant fi du reste. Je suis abasourdi que les politiques découvrent une réalité qui existe depuis longtemps et c'est sans doute la faute des moyens de communication. C'est la rue qui tue, ma rue, ce n'est pas l'hiver ou la température.

Ne pensez vous pas qu'une priorité en France aujourd'hui est la mise en œuvre du droit au logement " opposable " c'est-à-dire éventuellement défendu en justice, comme c'est déjà le cas pour le droit à l'école ou le droit à la santé ou le droit à l'absence de violence ?

Dominique BERTINOTTI

Oui il faut inscrire totalement le droit au logement dans notre droit et notre jurisprudence, mais il faut être capable de loger tout le monde à peu près comme chacun le souhaite, ce qui nécessite de fixer le niveau normal des demandes et ce qui est excessif. Tout le monde ne pourra pas être logé dans le centre de Paris… La question du logement est le résultat d'un système de production marchande qui est en contradiction avec la demande sociale. A Paris nous nous battons pour faire progresser la mixité sociale, battue sans cesse en brèche, et qui ferait si on laissait faire le marché que Paris ne serait rapidement habité que par les riches. Nous opérons des corrections réelles bien que toujours insuffisantes, et nous manquons c'est certain de moyens législatifs pour aller plus loin. Mais il faut être conscient que l'on ne peut aller contre le système voulu par l'ensemble des citoyens, notamment la défense de la propriété privée qui reste sacrée dans ce pays.
Notre société me semble d'accord pour être solidaire, mais il faut faire progresser le notion de responsabilité et de dette collective par rapport aux autres.

Patrick VIVERET

Les deux vont de pair : tout le monde a au moins le métier d'être humain, c'est-à-dire d'être le chef de projet de sa propre vie. Et la société a intérêt à créer les conditions pour aider chacun à aller vers plus de responsabilité, parce que les dégâts sociaux, civiques … sont gravissimes lorsque beaucoup trop de personnes ne sont pas en situation d'être chef de projet de leur propre vie, dégâts pour eux-mêmes et pour le corps social.

Vous avez peu parlé des nouvelles solidarités qui se développent, comme par exemple des micro-solidarités sur la même ligne de métro. N'est ce pas pourtant une voie vers plus de prise de conscience et de responsabilité ?

Dominique BERTINOTTI

C'est bien idéalement mais moi qui ne suis pas engagée dans ce genre d'actions, je pense qu'elles ne peuvent fonctionner réellement à long terme que si il y a un garant. Souvent le rôle de garant est demandé à la puissance publique. Peut-être est-ce un manque d'espérance de ma part mais je ne crois pas à la persistance de ces micro-solidarités.

Miguel BENASAYAG

La période est obscure, les gens sont spectateurs de leur vie, les institutions ne décident rien d'important sur ce qui nous touche directement, c'est le problème actuel de notre démocratie. Il ne faut pas demander aux politiques de boucher à notre place les trous dans le protagonisme social, ou de faire la solidarité en lieu et place de chacun. Notre problème c'est un manque de protagonisme, c'est-à-dire d'être moteur et volontaire pour quelque chosez de nouveau dans notre vie. C'est une question plus qualitative que quantitative.
Je ne suis ni optimiste ni pessimiste par rapport aux micro-solidarités, mais il me semble qu'expérimenter le fait d'être acteur d'un changement dans sa propre vie est toujours favorable. Petite ou grande la solidarité c'est sortir de la position de spectateur, il faut pouvoir bouger, et on bouge parce qu'il faut bouger et parce qu'il n'y a actuellement pas de solution globale.

Jean Claude ESCAFIT

Je vais vous demander à chacun une conclusion : à quelles conditions la solidarité peut ne pas être l'alibi d'une société individualiste ?

Rony BRAUMAN

Il n'y a me semble-t-il pas de conditions et pas de solutions pour échapper à l'usage d'alibis divers, mais la solidarité peut ne pas être seulement un alibi. Par exemple l'aide peut être utilisée à la fois pour apaiser les consciences et tout aussi bien pour ramener dans le champ du visible des éléments de notre société qui autrement en aurait disparu.

Laurence BOBILLIER

Hommes et femmes debout et solidaire, j'ai envie de dire aujourd'hui que je pense particulièrement à Florence Aubenas qui a bien besoin de notre solidarité.

Patrick VIVERET

On a beaucoup évoqué la solidarité qui nous rend plus riche et donne plus d'intensité à notre vie. C'est à la fois de l'ordre de la dimension personnelle et de l'ordre de la dimension collective. Mais pour aller plus loin je dirais que l'on a besoin d'une autre représentation de la richesse, pour que le sens de la solidarité devienne en quelque sorte plus objectif d'un point de vue global comme individuel. Ce qui compte vraiment dans la perception de nos vies tient me semble-t-il en particulier à une autre manière d'appréhender la richesse, la pauvreté, les inégalités, plus concrète, plus rationnelle. Or dans les comptes collectifs et individuels, tous nos instruments de mesure sont aujourd'hui contradictoires avec cette approche.

Dominique BERTINOTTI

La solidarité ne sera pas un alibi si c'est un projet politique porté collectivement. Quand on réfléchit à le devise républicaine, de vrais contenus existent derrière les mots de liberté et d'égalité. Il n'en est pas de même derrière l'idée de fraternité. On a un vrai travail politique dans le sens le plus noble du terme pour réussir à mettre un contenu fort dans l'idéal de fraternité, et c'est à ce prix que ne se posera peut-être plus cette question de la recherche de bonne conscience pour les individus solidaires.


Retranscription du débat : Jacques DEBOUVERIE - juin 2005