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Les mots de la Foi
Qohélet - Foi et sens de la vie 15 avril 2005 - Jesús Asurmendi en dialogue avec Pietro Pisarra (Texte intégral) Pietro - Nous avons choisi d'aborder la question du sens, par le biais
du livre de Qohélet - ou Ecclésiaste - où cette question
est posée dans la manière la plus radicale possible. Avec
Jesús, qui est un spécialiste de la littérature de
Sagesse, nous allons parler de ce que Qohélet nous dit au sujet
du sens de la vie. Pourquoi Qohélet ? C'est un livre étrange, mystérieux
: une véritable énigme ! C'est un livre qui a eu de grands
échos dans toute l'histoire de la littérature : le livre
de la Bible peut-être le plus cité, dès l'antiquité
jusqu'à nos jours. Il suffit de penser à des poèmes
assez célèbres de T. S. Eliot et de J. L. Borges, entre
autres, et aux expressions de Qohélet qui sont devenues proverbiales
: " Vanité des vanités
", " Rien de
nouveau sous le soleil... ", etc. Pour commencer, quel est le mystère de ce livre, quelle est surtout la place de ce livre dans la Bible ? Jesús - Le mystère de ce livre ? C'est très simple. C'est un livre décapant au plus haut point. C'est de l'acide concentré, c'est pour cela que vous ne le trouverez qu'à toutes petites gouttes - et encore ! - dans les lectionnaires et la liturgie. Pietro - " Qohélet ". Déjà le nom est une énigme. Qohélet se présente comme celui qui prend la parole. C'est le sens premier du mot ? Jesús - C'est celui qui rassemble la communauté, qui s'adresse à une communauté rassemblée. Pietro - C'est donc ce que la Vulgate traduit par " Ecclésiaste ". Mais Jérôme traduit le mot " Qohélet " aussi par " concionator ", c'est-à-dire celui qui s'exprime en public avec une certaine force, comme un avocat. Jesús - Oui, mais Jérôme, il faut s'en méfier comme de la peste ! Pietro - Qohélet : celui qui prend la parole, et il faudrait remarquer, peut-être, que Qohélet, c'est un féminin Jesús - Comme tous les noms de métier en hébreu, c'est féminin ! Pietro - On va le découvrir, et n'en déplaise à la majorité de la salle, Qohélet n'est pas si tendre avec les femmes. Il a même des mots assez durs Jesús - C'est le plus dur, dans l'ensemble de l'Ancien testament, sur les femmes. Il dit au chapitre 7, verset 24,25 et 26 : " Et j'ai trouvé, moi, plus amer que la mort la femme dont le coeur est un piège et ses bras un filet " (trad. non edulcorée du texte ) Pietro - Quelques mots sur l'auteur. C'est un personnage mystérieux qui se place sous un patronage très important : Salomon. Jesús - Tout ce qui était sagesse était coiffé par Salomon, mais c'est complètement absurde car sa langue ne correspond en rien à l'époque de Salomon. Pietro - Quelle est l'époque ? Jesús - 200 à 250 avant Jésus-Christ. Pietro - Qohélet se place sous le patronage de Salomon. Il en ressent la nécessité parce qu'il perçoit que ce qu'il va dire n'est pas tout à fait orthodoxe. Jesús - Il y a eu dans le judaïsme des questions pour savoir si Qohélet faisait partie de ce que nous appelons le canon. On ne sait pas pourquoi il est dedans. Parce qu'il est vraiment trop, trop dur, et les gens se posent toujours la même question : " Mais qu'est-ce que Qohélet fait dans le canon ? " et je trouve qu'il a une place absolument essentielle, même quand on ne sait pas comment il y est arrivé. Pietro - Ernest Renan - qui se trompait assez souvent - disait que le Cantique des cantiques était un texte érotique et que l'Ecclésiaste était un pamphlet de Voltaire, égaré par mégarde au milieu des pages illuminées d'une vieille bible. Jesús - Oui, mais Voltaire, comparé à Qohélet, est un enfant de chur ! Pietro - Qohélet, en fait, nous dérange. Et quand il s'agissait de choisir s'il fallait l'insérer parmi les livres de la Bible ou pas, les rabbins ont utilisé un argument qui peut nous paraître étrange : Qohélet, comme tous les livres sacrés, salit les mains. Jesús - C'est une expression rabbinique célèbre pour dire que le livre est sacré. Cela vient d'une coutume. Une fois qu'on a pris le livre pour le lire, après - non pas pour se purifier mais pour passer dans un autre monde profane - il faut se laver les mains. Pietro - On ne touche pas impunément au sacré. C'est cela l'idée. Qohélet fait partie de ce qu'on appelle les megillot, les " cinq rouleaux " (avec Ruth, Esther, Cantique des cantique et Lamentations) . Quelle est la signification de cette place ? Jesús - Les " cinq rouleaux " dans le monde juif sont
cinq livres qui sont ensemble parce qu'ils sont utilisés dans certaines
fêtes liturgiques. Que fait Qohélet dans la liturgie ? Esther
en fait partie. Le Cantique des Cantiques est lu à Pâques.
Esther, à la fête des Pourim, c'est-à-dire à
la fête du Carnaval juif, si l'on peut dire. Qohélet est
lu à la fête des Tabernacles, c'est-à-dire à
la fête des Tentes, à la fête de la récolte
de la fin de l'année. Mais Qohélet, c'est une contradiction
sur pattes. Il y a deux explications de sa présence à cette
fête, parce que c'est une fête au cours de laquelle on boit
pas mal, et à la fin de cette fête tout le monde est content,
avant de sombrer dans un sommeil profond, les rabbins disent : "
Il faut lire Qohélet à cette fête parce qu'il souligne
la seule chose qu'il faut, qu'il nous reste à nous les hommes :
c'est de manger, de boire et de prendre son pied ". Autrement dit,
ça revient à ça. Donc pour cette fête où
tout le monde boit, danse, Qohélet nous incite à ça. Pietro - Autre chose que l'on retrouve très souvent dans Qohélet,
ce sont les contradictions. Jesús - Et qui le sont ! Pietro - Il y a un mot qui est au centre du livre et qui donne le ton. C'est le mot hébreu " hével ", traduite par la Vulgate " vanité ". En hébreu c'est un mot concret, " vanité " est un mot abstrait. Jesús - Oui, mais les mots n'ont pas de sens. Hével est
traduit dans certains textes par " vanité ", dans d'autres
par " fumée ", dans d'autres par " non-sens ",
dans d'autres par " vent ". Les mots prennent toujours sens
dans leur contexte. La question est toujours : comment traduire Hével
dans livre de Qohélet qui est le livre qui utilise ce terme le
plus souvent ? Pietro - Justement, Hével havalim
Vanité des vanités,
c'est un superlatif comme " Cantique des cantiques ". Hével,
comme tu viens de le rappeler, a été traduit par vanité,
fumée, vapeur, vide, néant. Devant l'impossibilité
de trouver des synonymes, la bible Bayard préfère traduire
par " 'Hével havalim', dit Qohélet. Tout est Hével
: vent ". Jesús - Je ne sais pas s'il vous arrive de lire le chapitre 1er
de Qohélet. C'est une nécessité. C'est une prose
ambiguë, comme très souvent chez lui. Au chapitre 1, verset
8, je lis la traduction de la TOB : " Tous les mots sont usés.
On ne peut plus les dire. L'il ne se contente pas de ce qu'il voit,
l'oreille ne se remplit pas de ce qu'elle entend. " Pietro - La Bible de Bayard traduit, dans ce cas-là, par "
Toutes les paroles sont infirmes. " Jesús - Pour souligner un point-clé de cette position de Qohélet, il va saper constamment la sagesse, par exemple, toute tentative de connaissance. La sagesse, théoriquement, est une tentative d'appréhender le réel dans sa façon de fonctionner et dans son sens. Le sage est celui qui sait comment se comporter dans la vie pour arriver à bon port. Or, Qohélet va dire : " Tout cela est de la bibine et même le sage qui prétend savoir et connaître l'uvre de Dieu, c'est du toc ! On ne peut pas savoir ". Pietro - La deuxième maladie chez Qohélet concerne l'action, le faire, le travail, exprimé par le mot 'amal. Jesús - Le mot travail c'est 'amal effectivement. Il y a une phrase,
par exemple, au chapitre III quand il dit : " Je vois toute la corvée,
tout le travail que Dieu a imposé à l'homme pour l'emm
". Vous ne trouvez pas ça dans les traductions, mais c'est
ça ! Pietro - Il y a aussi une autre traduction : " Quel est le sens
de ce travail ? " Nous sommes encore une fois au centre de cette
idée de sens. Jésus - Pour que vous ne croyez pas que j'invente, je vous lis
effectivement au chapitre VIII, versets 17-18. " Alors, j'ai vu toute
l'uvre de Dieu. L'homme ne peut découvrir l'uvre qui
s'est faite sous le soleil. Bien que l'homme travaille à la rechercher
mais sans la découvrir et même si le sage affirme qu'il sait,
il ne peut la découvrir. " Pietro - La sagesse ne sert à rien, mais chez Qohélet il
y a aussi une différence entre sagesse et stupidité. La
différence est que, en plus, le sage souffre. Jesús - Oui, et c'est encore pire. Vous avez un texte super qui est le chapitre I, 3 à 11 où il présente justement cette phrase que l'on a vue tout à l'heure : " Tous les mots sont usés " etc., mais, avant, il présente un peu le fonctionnement du cosmos. Il met en parallèle et en contraste le cosmos qui tourne : le soleil, l'eau, le vent, etc. C'est une présentation du cosmos comme quelque chose qui refait toujours la même chose. C'est la répétition pure, constante. Mais il dit : la terre reste et l'homme passe. L'homme ne fait que passer parce qu'il n'a pas de mémoire. Le cosmos, même si ce n'est pas génial, au moins, il est là. Comme dit un poète célèbre espagnol : " Ce qui est propre à l'homme, c'est de passer. Passer en laissant des traces dans la mer. " On a lu plusieurs fois comme premier texte dans un mariage ce passage des versets 3 à 11 . Pietro - Liée à cette maladie du cosmos, il y a la maladie de l'histoire, du temps. Je crois qu'il faille lire le début du chapitre III (" Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel. Un temps pour enfanter, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant... "). Dans ce chapitre nous trouvons 28 temps. La symbolique des nombres a une grande signification dans ce cas là ; nous avons, en fait, 14 situations différentes que l'on peut réduire à 7. Le temps aussi est malade. Jésus - Le temps est malade pour l'homme. C'est-à-dire
qu'il fait une description d'un certain nombre d'activités de l'homme,
non pas pour dire de façon exhaustive tout ce que l'homme fait
ou peut faire mais pour dire la totalité de la vie de l'homme.
Et dans ce sens dire : il y a une chose qui annule l'autre. Pietro - C'est le mot 'Olam en hébreu que certains traduisent par " désir d'éternité ". Jésus - C'est un mot archi-ambivalent. Disons que c'est le temps
global, le temps total. Autrement dit le temps de Dieu. L'homme, c'est
encore pire que pour les animaux parce qu'eux ne savent pas, mais l'homme
a une espèce d'étincelle du savoir, du temps total, du sens
du temps et de l'histoire. Il reste comme ça. Alors, qu'est-ce
qui est mieux ? Pietro - Avant de poursuivre, il faut relire le début du chapitre III. Jésus - (Il lit les versets 1 à 8.) Au verset 10 je vois
l'occupation que Dieu a donné aux hommes pour les peiner, pour
les écraser. Il fait toutes choses bonnes en son temps. A leurs
coeurs Pietro - Au sujet du temps et du cosmos, il y a cette expression qui revient assez souvent : " Sous le soleil ". Curieusement les rabbins ont utilisé cette expression pour dire : " Oui, il parle de la réalité qui est sous le soleil mais il ne s'occupe pas de ce qui est au dessus du soleil ! " Donc ils sauvent Qohélet de cette façon-là. Jésus - Cela me donne l'occasion de dire que les défenseurs
de n'importe quelle orthodoxie, qu'elle soit juive ou chrétienne,
sont mal à l'aise avec ce texte. Mais comme il y a toujours dans
ce livre une dose d'ambiguïté - parce que Qohélet est
quand même très malin dans le sens qu'il affirme toujours
des choses énormes - il y a toujours une petite note, un petit
machin qui met un bémol. Les défenseurs de Qohélet
s'agrippent toujours à ces petites choses pour dire : " Mais
non, mais non
"
Pietro - Il y a une cinquième maladie. Celle qui touche la société.
La société est malade. On a eu beaucoup de mal à
classer Qohélet politiquement. Est-il conservateur, réactionnaire,
anarchiste ? À mon avis, la solution est de concilier ces apparentes
contradictions et de le considérer comme un conservateur anarchiste
(comme l'a été É. Cioran). Jesús - Exactement, et là, non seulement sur la question du pouvoir mais par exemple sur la question de l'injustice, il est non seulement clair que pour lui il n'y a pas de justice mais il n'est pas possible de refaire ou de restaurer une justice quelconque. Il constate que vraiment ce n'est pas ça. Il n'y a rien à faire pour que ce ne soit pas ça. Cela est absolument évident. Pietro - Il semble faire référence au chapitre IV, verset 13, à un coup d'état ! Un enfant pauvre et sage prend le pouvoir. Il arrive à détrôner un roi vieux et insensé. L'enfant sort de prison. Il va régner, " mais ceux qui viennent après ne s'en réjouiront pas ". Jésus - C'est une sorte de toile de fond qu'on a donné
à ces textes. Ce n'est pas exclu mais c'est un principe beaucoup
plus large. Nous connaissons ce qu'il y a eu après mai 68
!
Après la Révolution française, vous avez fait quoi
? Napoléon ! Pietro - Il y a donc la maladie qui touche la société mais il y en a une 6ème encore plus radicale, c'est la maladie qui touche la vie même. Qohélet termine, au chapitre XI, par cette vision de la vieillesse qui ressemble à un château en ruine. Jesús - Oui, qu'est-elle ? C'est un très beau texte. Cela fait partie des gains incontournables de Qohélet. Si on résume un peu sa vision de la vie, pour lui, la mort vaut mieux que la vie. L'avorton vaut mieux que celui qui est né. Mieux encore que la mort , c'est le fait de ne pas avoir existé ! Comme ça, il ne voit pas tous les malheurs qui l'attendent en ce monde. Le problème, c'est que lorsqu'il dit cela, il est né. ! Pietro - Il y a une 7ème maladie qui est beaucoup plus radicale pour l'homme de la Bible, C'est la maladie théologique, la maladie qui touche Dieu lui-même. Le Dieu de Qohélet est un Deus absconditus. C'est peut-être l'endroit de la Bible où il est le plus caché. Jesús - Mais comme il y a toujours quelques petites phrases sur Dieu par ci, par là - qui peuvent être positives et qui souvent, me semble t-il, peuvent être des citations de la doctrine commune, de la pensée générale - il y a des gens qui disent que, chez Qohélet, cette maladie n'existe pas ! Mais Qohélet a une foi profonde ! Oui, mais dans le sens du creux. Oui, il ne nie pas que Dieu existe. Oui, mais il s'en fout. Cela ne sert strictement à rien Pietro - Il ne cite jamais le mot Yawhé. Jésus - C'est une caractéristique relativement compréhensible de la littérature de sagesse qui ne cite pas les particularités d'Israël. La littérature de sagesse, par principe, est beaucoup plus universelle. Elle ne parle ni de l'Alliance, ni de l'Exode. Elle parle de choses que tout le monde peut entendre. C'est pour ça que les deux livres qui ont le plus de succès aujourd'hui auprès des gens qui ne sont pas de la " tribu ", ce sont Qohélet et Job. Forcément. Pietro - A ce sujet, Bernanos disait : " On ne nourrit pas les perroquets
avec le vin parfumé aux aromates du Livre de Job et de l'Ecclésiaste.
" C'est une pensée que l'on ne peut pas répéter
machinalement, mécaniquement. Jésus - Ah oui, c'est une chose qui est sûre et qui n'est
jamais contredite. C'est un peu la même histoire, quand on dit :
la dernière chose que l'on perd c'est l'espérance, même
si elle ne sert à rien. Pietro - A ce sujet, après avoir dit que la femme est un piège, il dit : " Mais prends du bon temps avec ta femme ! " Jésus - Oui, mais je rappellerai qu'il dit que le cur de
la femme est plus amer que la mort, que ses bras sont des chaînes
et que son cur est un piège, ce qui n'est pas toujours faux,
et vice versa . Oui, il dit ça et il y a un autre texte du chapitre
: " Habille- toi de blanc, parfume- toi, vie ta vie à fond
avec la femme que tu aimes ". Si on résume, il n'y a rien,
même la femme, qui puisse être un projet de l'homme ! Pietro - Nous avons parlé de piège, mais il y a quand même un piège en ce qui concerne l'interprétation de Qohélet. Certains auteurs, certains exégètes en ont fait le chantre de la médiocrité, d'une médiocrité dorée. Jésus - C'est un piège, oui et non. Je dois dire que Qohélet a un il absolument radical et critique, violent, virulent, acide à 100% sur tout. Dans ces conditions il ne dit pas qu'il faut chercher là où est la médiocrité dorée, mais c'est là seulement qu'on va pouvoir trouver un profit quelconque, dans le fait - non pas de chercher encore une fois la médiocrité - mais de profiter de ces éléments qui peuvent être la moyenne ou la médiocrité générale et qui sont la seule chose qui pourront tomber dans le sort de l'homme. Non pas la médiocrité comme objectif, mais le fait de profiter de ce qu'on a, sans avoir des projets car cela ne sert à rien. On ne fait pas la révolution pour changer le monde, on se contente de ce qu'on trouve. Si on ne trouve rien, inch Allah ! Pietro - Tout à l'heure, je disais que je n'étais pas totalement d'accord avec toi sur ce que tu disais au sujet du Qohélet réactionnaire. Je crois qu'on peut lire en creux une sorte de résistance aux idoles. Là, je m'abrite derrière l'autorité d'un éminent exégète, Paul Beauchamp. Il dit que Qohélet exprime la résistance d'Israël à toute construction d'un refuge dans un monde parallèle. Jesús - Avec Qohélet, rien ne tient. Il ne construit rien non plus. Le rôle de Qohélet dans la Bible et dans la foi chrétienne est aussi important que celui des prophètes. Qohélet est un peu le contrepoids à l'enthousiasme béat prophétique. C'est un livre incontournable pour que la foi soit mûre. Et pour que l'homme soit homme et ne se berce pas d'illusion. Si un jour vous êtes trop optimiste, lisez pendant un quart d'heure calmement Qohélet ! On ne peut se passer de Qohélet si on veut avoir une foi adulte. Qohélet n'est pas la théologie, comme dit Ellul, Qohélet n'est pas la Philosophie, ni la Sagesse, à condition qu'il nous laisse à la porte. Qui peut nier que l'injustice règne et que les politiques se succèdent et se ressemblent ? Après, il nous reste un choix à faire à nos risques et périls. Mais Qohélet n'est absolument pas contournable et on doit passer par là. Pietro - Qohélet n'est jamais cité dans le Nouveau Testament. Jésus - Ce n'est pas étonnant car le N.T est vraiment une offre, là où Qohélet nous laisse. Le tout est de pouvoir articuler l'un et l'autre. Si on reste à Qohélet, dans le meilleur cas on se suicide. Si on ne se suicide pas, c'est qu'on n'en a pas le courage. Si on va au-delà de Qohélet, une des sorties possibles est le N.T. Qohélet est absolument indispensable pour que l'Evangile ne devienne pas une drogue euphorisante sans base. L'Evangile d'accord, mais avec Qohélet. Pietro - Il y a l'Ecclésiaste, et il y a celui que des auteurs appellent l'Ecclésioclaste. Un auteur français Jean-Pierre Molina fait un parallèle entre l'Ecclésiaste et Jésus. Il dit qu'entre les propos du Nazaréen et l'anti-sagesse de Qohélet il existe une complicité. On pourrait dire qu'ils s'expriment tous les deux par paradoxes. Jésus - Je ne dirais pas, par exemple, que Jésus ment ! Il n'est pas un maître de l'illusion, loin de là, mais c'est quelqu'un qui, tout en étant enraciné dans le réel le plus dur, offre et présente un chemin pour en sortir. Qohélet et Jésus excluent de recourir à une facilité comme prêt à porter métaphysique pour expliquer le malheur. Il n'y a pas de rétribution. Il n'y a pas de quoi établir des rapports de l'homme à Dieu à base de culpabilité. Cela ne veut pas dire que chacun de nous ne puisse pas être ou se reconnaître coupable. Comme Job et comme Jésus, je ne peux plus baser mes relations avec Dieu sur la culpabilité. Pietro - La bonne nouvelle avec Jésus de Nazareth, c'est qu'il y a tout de même un changement radical de cap. Jésus - De ce point de vue, on est aux antipodes, même si le réalisme est présent dans les deux, il n'y est pas de la même façon ni dans la même dose ni dans la même proportion. Il est sûr que le N.T offre un sens à toutes les maladies, un sens à la vie : non ce qui est sensé mais qui fait sens. °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°° Bibliographie Jacques Ellul, La raison d'être. Méditation sur l'Ecclésiaste, Paris, Seuil, 1987. Daniel Lys, Des contresens du bonheur ou l'implacable lucidité de Qohéleth, Poliez-le-Grand (Suisse), Éditions du Moulin, 1998. André Neher, Notes sur Qohélét, Paris, Les Éditions de Minuit, 1951. Gianfranco Ravasi, Qohelet, Milano, San Paolo, 1988 (en italien). Jacques Roubaud, Sous le soleil. Vanité des vanités, Paris, Bayard, 2004. Paul Beauchamp, L'un et l'autre Testament (t. 1), Paris, Seuil, 1976. Maurice Gilbert, Les cinq livres des Sages, Paris, Cerf, 2003.
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