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Notes sur conférence Jean François Barbier Bouvet (9 décembre
2004)
Les chiffres :
Observance, appartenance et croyance ne sont pas au même niveau
et n'évoluent pas de la même manière :
" 10% des français ont une pratique religieuse régulière
(critère : participation à au moins une messe/mois). Ce
niveau de pratique s'est stabilisé, après une baisse régulière
depuis 3 générations.
" 65% des français se déclarent catholiques. Ce chiffre
n'est en baisse que depuis les années 80's.
" 60% des français disent croire en Dieu (proportion identique
jeunes/âgés). Ce chiffre a certes connu une chute dans la
fin des années 60's, mais il est resté constant depuis.
L'évolution des manières de croire :
" un déplacement du " précis " vers "
l'imprécis " (on croit moins en un dieu personnel et plus
en une énergie ou une force).
" un déplacement de la foi vers le plausible, du " certain
" vers le " probable ".
" les croyances liées à la mort sont en hausse, y compris
dans les jeunes générations : vie après la mort,
résurrection, réincarnation.
" cette croyance en l'immortalité change de nature : elle
est de plus en plus déconnectée de la notion de jugement
ou de salut. Elle exprime surtout un désir de survie, dans une
société qui valorise tellement la réalisation de
soi que la mort parait inacceptable. Il doit y avoir une seconde chance
Les évolutions du rapport au temps, propres à la
modernité, ont des répercussions sur le rapport au religieux
:
1. Le temps-rythme : le calendrier social est de moins en moins
marqué :
- dilution du marquage des cycles temporels réguliers (hebdomadaires,
mensuels, festifs) : on fait ce qu'on veut, quand on veut, chacun selon
son rythme. Les activités rituelles s'en trouvent moins soutenues
par le mouvement général de la société.
- en sens inverse, les gens se reportent sur des temps forts et les surinvestissent
(typiquement les JMJ, ou les nouvelles formes de militantisme où
on se mobilise sur des causes-événements plutôt que
dans la durée ou comme permanents).
- ce n'est pas parce que la religiosité devient intermittente qu'elle
disparaît. Simplement sa temporalité change (image de la
baleine qui fait surface, fait le plein d'air, plonge et re-apparaît
plus tard, mais on ne sait ni où, ni quand,). On est passé
d'une situation où dominaient " les croyants avec leurs périodes
de doute " à une situation où dominent " les doutants
avec leurs périodes de foi ".
2. Le temps réversible : un moindre engagement dans ses
choix :
- volonté de rester " open ", on veut pouvoir changer
d'avis à la dernière minute, ne pas s'engager pour la vie
mais " tant que ça marche ", etc.
- le religieux n'échappe pas au phénomène : on ne
s'inscrit pas ou ne s'engage pas à l'avance pour une activité
mais on débarque au dernier moment.
- nomadisme religieux : passage d'une spiritualité à une
autre, au gré des découvertes et des opportunités.
3. Le temps-vitesse : la culture de l'impatience :
- l'ici et maintenant est privilégié, dans tous les domaines
: consommation (livré en 1h, en 24h), vie professionnelle (culte
de l'urgence), vie affective et sexuelle (on conclut d'abord, on construit
ensuite
), etc.
- le zapping, phénomène typique de la modernité,
manifeste une attitude plus profonde : l'abaissement du seuil de résistance
à l'ennui (on ne supporte pas d'attendre que ça devienne
bien
).
- le religieux en souffre, lui qui s'inscrit dans la durée, prend
son sens en référence à un passé (une histoire,
une capitalisation d'expériences et d'enseignements) et dans une
projection vers un avenir
.Comme dit le Talmud : " je suis un
mot dans une phrase que mes ancêtres ont commencé à
écrire ". La question du devenir des religions se pose, dans
une société centrée sur le présent et soumise
à l'impératif du changement permanent.
Une tendance de fond : l'individualisation:
Dans un monde où les systèmes et les idéologies ont
perdu leur pouvoir de référence partagée (de gré
ou de force), l'individu est de plus en plus devenu la mesure de toute
chose. D'où une hypertrophie du moi.
Dans le domaine religieux ou spirituel, ce courant entraîne des
modifications de perception :
" la relativisation : ce qui est bon pour moi ne l'est pas forcément
toi. Conséquence: on ne se sent pas autorisé à imposer
ce qu'on croit, voire même à le proposer.
" l'auto-spiritualité, c.a.d l'expression d'un religieux qui
fait l'économie des églises, des dogmes et des communautés.
" la personnalisation : faute d'adhérer à un discours
parce qu'il est attesté par l'histoire ou le dogme, on se repère
sur la qualité personnelle de celui qui l'énonce : c'est
bien, parce que celui qui le dit est un type bien. Conséquence
paradoxale : la popularité de certaines personnes (Jean Paul II)
peut aller de pair avec l'impopularité des institutions qu'elles
représentent (l'Eglise).
" la logique de l'efficacité et du bénéfice
personnel : ce qui atteste qu'une chose est bonne est qu'elle me fait
du bien à moi. D'où un déplacement du dogme à
l'expérience : on attend moins d'une religion qu'elle apporte une
vérité, mais un épanouissement.
" la place plus importante accordée à l'émotion
: " je sens donc je suis ". L'émotion passe en particulier
par deux choses : le corps (les affects, le plaisir) et le voir (si je
l'ai vu moi-même, c'est que c'est vrai). La modernité occidentale
se caractérise par une crise de l'invisible ; or on ne voit pas
l'âme, on ne voit que le corps.
L'enjeu :
- Toutes ces modifications entraînent un déplacement des
manières de croire ou de donner une dimension spirituelle à
son existence. Elles ne les font pas disparaître.
- L'avenir du religieux n'est pas dans le mimétisme ou le suivisme.
Dans la société, toute généralisation d'une
manière d'être engendre en retour le désir d'une compensation,
y compris chez ceux-là même qui l'acceptent (c'est ce qu'on
appelle l'" effet jogging " : plus les gens ont pris leur voiture
pour éviter de marcher, plus on a vu se développer l'envie
de courir) : par exemple l'agitation suscite le désir de retraite
et de silence, la ville le désir de nature, etc. Non pour fuir
le monde mais pour y replonger ensuite. Le religieux n'a pas à
craindre le décalage. A la condition qu'il ne soit pas perçu
comme un déphasage.
- Les grandes évolutions du rapport au temps et du rapport aux
autres font de la transmission la question majeure du religieux aujourd'hui.
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