L'aventure d'Abraham et d'Isaac vécue comme une Pâque

Comment se fait-il qu’il ne l’ait pas tué ? je veux dire comment se fait-il qu’Isaac n’ait pas tué Abraham après le premier acte de violence de son père sur lui ?

A-t-il égaré le couteau dans le buisson ? Etait-il vraiment trop jeune ou impuissant ? N’a-t-il donc pas lu Freud ?
C’est vrai, on s’interroge plutôt habituellement sur le geste d’Abraham et sa motivation : sacrifier son fils pour obéir à Dieu ? aberrant ! trop violent ! révoltant !
Devant cette folie apparente, certains disent : eh bien oui, justement, c’est bien là le sens de l’épreuve et c’est le mérite d’Abraham d’avoir fait confiance. Le Seigneur est content, il a vu son intention de faire ce qu’il lui a ordonné, il est satisfait, plus besoin de tuer maintenant, Abraham est largement béni.
D’autres rétorquent : eh bien non, Dieu n’a jamais demandé cela. Ce qu’Abraham a entendu, correspond à l’image première qu’il avait de Dieu, image idolâtrique. Abraham est appelé à faire le sacrifice de sa vieille conception d’un Dieu qui demande le sacrifice des premiers nés, pour entrer dans une nouvelle relation à Dieu et à son fils. D’où le remplacement de l’agneau (image projet) par le bélier (ancienne idole).
Abraham est appelé à entrer dans la foi en acceptant de mourir à la représentation de son Dieu comme violent et à la représentation de son fils comme prolongement de sa propre vie. Abraham est appelé à faire en quelque sorte le sacrifice du sacrifice, en acceptant de délier celui là même qu’il voulait lier.
 
            L’aventure d’Abraham et d’Isaac dans cet épisode est une expérience de libération pour tous les deux. C’est une Pâque. Abraham est libéré de l’image d’un fils qui serait le meilleur de lui-même et donc ce qu’il y aurait de mieux à offrir. Non, son fils est son fils, mais son fils n’est pas lui, il a sa propre histoire, il va tracer son propre chemin. Isaac, lui, est libéré d’avoir à reproduire l’image idéale de son père, qu’il est bien sûr impossible d’atteindre. Il est libéré pour la vie, il est libéré pour sa vie, il devient responsable de sa propre vie.
 
Point besoin pour le père de tuer le fils.
Point besoin pour le fils de tuer le père.
Plutôt mutuel apprentissage.
Le père apprend au fils à vivre, le fils apprend au père à mourir, dit la tradition rabbinique.
 
            Entre le père et le fils, c’est un jeu étonnant de conversion d’images. Mais pas de transformation d’images sans couteau. Le couteau ? Quel couteau ?
Le couteau - glaive de la parole. Qui sépare, qui distingue, qui produit la déliaison du père et du fils.
Du coup, Isaac qui jusque là ne disait presque rien, va bientôt se mettre à parler. C’est bien là le signe de la liberté des enfants de Dieu.
 
Isaac figure de Jésus, l’homme libre, devenu Christ et Seigneur par sa résurrection. C’est dans sa pâque que nous sommes baptisés. Par le baptême, David et Moussa , il vous offre ce passage, il vous ouvre à la parole, il vous donne son Esprit pour faire votre propre chemin d’humanité avec lui et au milieu de nous.
Nicolas Guerin